On a un peu tendance aujourd'hui à trop utiliser le terme "classique" dans le rap français, dès qu'on se réfère à un projet ou a un son qui a très bien marché et qui date un peu. Mais un classique du Rap FR, ce n'est pas forcément quelque chose qui a cartonné : c'est un truc qui a marqué les esprits, en étant validé par tous (ou en créant une énorme polémique), et qui influence considérablement les projets qui vont arriver après. "Opéra Puccino" d'Oxmo, sorti le 28 avril 1998, fête ses 27 ans cette année, et pour le coup, il s'agit d'un véritable classique, sans discussion possible. On vous emmène revisiter ce disque culte, qui avait mis une baffe à tout le monde à l'époque.
Cela va peut-être paraître étonnant pour les plus jeunes d'entre nous, mais Oxmo faisait clairement partie de la "nouvelle génération" de rappeurs français en 1998, du haut de ses 23 ans. Une "new gen" qui arrive donc après celle des grands frères d'IAM, de NTM ou du Secteur Ä par exemple. Il faut dire aussi qu'Oxmo est issu d'une des meilleures écoles du rap français, celle de Time Bomb, où il rappait aux côtés des X-Men, de Lunatic, et de bien d'autres rappeurs talentueux. Avant la sortie de cet album, Oxmo a déjà marqué les esprits, avec des titres comme "Mama Lova", ou encore "Pucc Fiction" avec Booba, ou le légendaire freestyle "Les Bidons veulent le guidon", mais il n'avait pas encore son projet de référence.
Mais ce premier album solo va rapidement le devenir, et ça, on le sent dès les premières notes du premier morceau, qui reprend le discours légendaire du pasteur noir dans le film "Mississippi Burning" : "Je n'ai plus d'amour dans le cœur". Ne vous attendez pas à un album "funky", Oxmo est là pour rapper son mal-être et ça tombe bien : il est excellent dans ce domaine. Déterminé, paranoïaque, mais surtout amer et désabusé, le Ox' nous décrit avec merveille la vie et les rêves d'un jeune noir du 19ème arrondissement, avec les barres de rire, mais surtout le manque de perspectives, et la déprime et la haine qui en découlent. "J'suis d'la race la plus haïe du monde", écrit-il, à seulement 23 ans, dans l'intro de l'album, "Visions de vie".
Heureusement, même si tout l'album est teinté de noirceur, la qualité d'écriture d'Oxmo nous empêche de tomber en dépression dès les premiers titres. Ça, plus le talent du jeune rappeur pour le story-telling, lui qui continue à incarner son personnage de renoi mafieux (d'où le nom à consonnance italienne, "Puccino"), qu'on avait pu voir dans "Pucc Fiction", et qu'on retrouve dans l'interlude "Black Mafioso", ainsi que dans le titre "Hitman". Cet aspect story-telling , on le retrouve tout au long du disque, et même de la carrière de rappeur d'Oxmo, qui incarnera différents personnages au cours de sa longue discographie.
On parlait plus haut de l'école Time Bomb, et si en 98, l'écurie a déjà un peu explosé, laissant chacun prendre son propre chemin, "Opéra Puccino" est encore un album qui est quasiment 100% Time Bomb, puisque ce sont DJ Sek et DJ Mars qui se chargent de la quasi-totalité des prods du projet. Cela donne une vraie cohérence musicale, dans laquelle on ressent le spleen du rappeur, tout au long de l'album, avec ces samples hyper efficaces, comme sur "Peur Noire", "L'Enfant Seul". Finalement, ces prods teintées de sonorités jazzy et blues sont parfaites pour l'ambiance de l'album, qui reste plutôt sombre, avec une influence reconnaissable de l'école new-yorkaise.
On ne va pas vous faire tout l'album piste par piste, ce qui n'aurait aucun sens, puisque, pour commencer, nombreux sont ceux qui connaissent le disque par cœur. De plus, le projet est tellement cohérent, même s'il a beaucoup de tracks, que séparer un titre par rapport à d'autres pour le mettre en avant n'aurait pas de sens. Oxmo Puccino nous propose un véritable voyage dans le Paris de la fin des 90's, à la fois pluvieux et étouffant, dans la peau d'un jeune noir qui doit se fabriquer ses propres armes pour survivre, quitte à fantasmer une appartenance à une "Black Mafia" dont il serait le parrain.
Un rôle dans lequel il est évidemment très crédible, tellement il écrit bien, avec sa manière de faire rimer les consonnes qui rappellerait presque un autre parrain du rap new-yorkais : Notorious B.I.G, d'autant que ce-dernier aussi était parfois rempli de spleen, comme dans "Suicidal Thoughts". Si vous n'avez pas le temps de poncer tout l'album, on vous conseille évidemment "L'Enfant Seul", qui a matrixé tellement de générations, mais aussi "La Loi du Point Final", un des meilleurs samples de l'histoire du rap FR, et aussi un des meilleurs featurings en terme d'écriture.