La mort d'un drilleur anglais,TKorStretch, poignardé à mort à la suite d'une altercation durant le carnaval de Notting Hill ne va pas arranger les affaires de la drill, ce genre si populaire au Royaume-Uni qui rayonne aussi dans le monde avec des artistes du calibre de Central Cee, Russ Millions et bien d'autres. Mais les autorités britanniques ne sont pas vraiment fans de ce phénomène et accusent la drill d'incitation à la violence. Elles rendent également cette musique responsable de la multiplication des agressions au couteau. Leur idée : la faire retirer d'Internet. Une gageure alors que ce style est aujourd'hui certainement le plus populaire dans le rap, que ce soit en Angleterre, en France ou aux Etats-Unis avec la réussite, notamment, de Fivio Foreign.
Alors, depuis 2015, la police britannique a lancé "l'opération Domain". L'idée, c'est de surveiller l'activité des gangs sur internet. La police veut lutter contre la violence de certaines vidéos publiées sur YouTube.
BFM cite des chiffres édifiants.
"En janvier 2021, la BBC dénombrait 579 requêtes de la part des autorités depuis novembre 2016. 522 de ces “contenus potentiellement dangereux” ont été supprimés. En 2021, Vice compte cette fois 510 signalements pour des vidéos de drill. YouTube s’est soumis aux demandes de la police britannique dans 96,7% des cas."
Il faut dire qu'en 2021, "l'opération Domain" a évolué et est devenu le "projet Alpha" alors que, dans le même temps, la police s'est vu accorder le statut de “trusted flagger” ("signaleur de confiance") dont BFM là encore donne une explication claire.
"Ce label s’inscrit dans un programme de modération incluant des autorités administratives et des ONG. L’objectif est de fournir aux “trusted flagger” des outils puissants pour signaler plus efficacement des contenus."
Un nouveau statut qui fait craindre le pire pour les organismes qui défendent la liberté d'expression comme l'Electronic Frontier Foundation qui y voit un moyen de déployer une censure étatique.
“Lorsque les sites coopèrent avec les agences gouvernementales dans le cadre des systèmes de modération, la plateforme est par nature biaisée en faveur des positions du gouvernement et donne aux forces de l’ordre une influence démesurée pour contrôler le dialogue public, supprimer la dissidence et étouffer les mouvements sociaux, dénonce l’ONG. Cela pousse également les plateformes à modérer des discours qu’elles n’auraient peut-être pas choisi de modérer elles-mêmes.”
Rappelons qu'il y a quelques mois, à New York, le maire de la ville, Eric Adams avait peu ou prou tenu le même discours que les autorités anglaises à propos de la drill et qu'il avait légèrement revu sa position après une rencontre avec des rappeurs comme Fivio Foreign et Maino qui lui ont expliqué que c'était l'image d'une jeunesse d'aujourd'hui et qu'en aucun cas il ne s'agissait d'inciter à la violence mais plutôt de parler d'une réalité.
Encore une fois, le rap fait donc face à des accusations d'incitation à la violence, comme durant toute son histoire. C'est une sorte de serpent de mer quand il s'agit d'expliquer des mutations sociales profondes et qu'on ne sait pas du tout comment le faire. Surtout, cela permet de jeter l'opprobre sur une musique plutôt que de se pencher sur les vrais problèmes.
Sur son premier album, "Temps mort" sorti en 2002, Booba disait déjà :
On m'a dit d'changer des mots pour pas qu'les petits me suivent
Pas grâce à moi qu'y pensent à Tony devant leurs petits suisses
Et bien, en ce qui concerne la drill, c'est le même phénomène. Aujourd'hui, on en écoute tous, est-ce que ça donne envie de mettre des coups de couteau à des gens dans la rue ? Evidemment que non. Mais il semble que les autorités britanniques ne l'aient pas bien compris. Résultat, elles comptent même aller plus loin puisqu'elles ont également annoncé des collaborations avec Facebook, Instagram, TikTok et Twitter.
Vous avez dit censure ?
Grégory Curot