Il y a 22 ans exactement, le 19 mai 2003 (un vendredi), sortait un album qui allait marquer à jamais le visage du rap français, et surtout la mémoire de centaines de milliers d'auditeurs. Non, on n'exagère pas : pour beaucoup d'auditeurs de rap (ceux qui ont environ 30 ans aujourd'hui), il s'agit du premier album de rap FR qu'ils ont poncé. On parle évidemment de "Gravé dans la roche", l'album culte de Sniper. Un projet qui a cartonné, et dans lequel on va se faire un plaisir de replonger !
L'album de la confirmation
"Gravé dans la roche" n'est pas le premier album du groupe du 95, puisque deux ans plus tôt ils sortaient "Du Rire aux Larmes", un joli succès puisqu'il a été certifié plusieurs fois et que certains titres avaient eu une sacrée résonnance, comme "Pris pou cible", "La France", ou bien le légendaire "Aketo vs Tunisiano". Mais il s'agissait d'un disque de présentation, avec lequel on découvrait le trio. "Gravé dans la roche", c'est le projet avec lequel ils ont montré qu'ils pouvaient devenir de vraies légendes du rap français.
Car c'est ce qu'ils sont devenus après la sortie de cet album. Pourtant, de nombreux reproches leur étaient adressés, notamment au sujet du fait que leurs titres étaient trop matraqués en radio et qu'ils n'avaient plus rien d'underground. Des polémiques qui font rire aujourd'hui, à l'heure où les rappeurs ne cherchent qu'à élargir leur public le plus possible. En ce sens, Sniper étaient un peu des précurseurs qui ont participé à faire du rap quelque chose de plus "mainstream", même si ça a pris du temps et que personne n'a voulu les remercier pour ça. Ils répondent d'ailleurs à tout ça dans le morceau "Processus 2003".
D'autant qu'ils ont réussi à toucher un public très large, sans se travestir : pas d'attitude de faux gangsters pour plaire aux bourgeois en manque de frissons, pas de concessions sur les messages politiques dans leurs textes ("Jeteur de pierres", "Hall Story" ou encore "Visions chaotiques" sont là pour en témoigner).
Un projet à thèmes
Avec "Gravé dans la roche", Sniper nous livrait un projet d'un style qui a presque complètement disparu aujourd'hui : un album avec beaucoup de chansons "à thèmes", là où ces derniers temps les rappeurs se contentent de faire de la musique pour divertir et non pour aborder un sujet en particulier. Aketo, Blacko et Tunisiano tenaient absolument à aborder des sujets précis, de manière parfois légère, et parfois très lourde en émotions, comme "Sans Repères", un titre qui a fait chialer plus d'un auditeur de rap à l'époque, et qui parlera à tous ceux qui ont grandi sans figure paternelle.
Un autre thème sur lequel on entend beaucoup le groupe dans cet album, c'est Sniper qui raconte comment ils ont construit leur historie et mené leur bateau dans cette industrie : "Processus 2003", "Gravé dans la roche", "Recette maison", on sent que les bougs savourent le fait d'être aujourd'hui en haut de l'affiche, même si le processus a été long. Et ils comptent bien y rester !
Sniper était aussi un des premiers groupe à aborder la question du double héritage "France/Bled" de manière si intéressante dans le morceau "Entre deux", avec toute une génération de gens qui ne se sentaient acceptés ni en France, ni dans le bled de leur pays d'origine. Evidemment, comme souvent à l'époque, on trouve pas mal de morceau qui tirent la sonnette d'alarmer sur des sujets de société, mais ils le font avec beaucoup d'intelligence, et beaucoup de maîtrise au micro : "Hall Story" sur le racisme, la surenchère sécuritaire dans cette France qui flippe depuis le 11 septembre, "Trop vite" sur ces jeunes tentés par l'illégal, "Y a pas de mérite" sur les dérives morales de nos sociétés où tout le monde veut "tout, tout de suite", quitte à emprunter les chemins les plus terribles, ou encore "Jeteur de pierres", un des meilleurs morceaux de rap jamais sorti sur le conflit israélo-palestinien.
100% banlieusards et talentueux
Bref, vous l'aurez compris, l'album "Gravé dans la roche" est très, très dense avec ses 16 titres parmi lesquels rien n'est à jeter, beaucoup de sujets abordés, des prods très bonnes signées bien souvent par Kilomaître (Tefa et Masta), Yvan Peacemaker et parfois Blacko lui-même, d'après les crédits de l'album. Le résultat, c'est une vraie diversité d'ambiances avec des instrus adaptées aux thèmes abordés dans les morceaux.
Ce qui transparaît le plus dans l'album, c'est la fierté qu'a Sniper de faire partie du mouvement hip hop de France, et également une forte revendication de leur identité banlieusarde complètement assumée. Juste des mecs de quartier, qui kiffent la musique, qui ont de l'humour, qui ne se prennent pas pour des gangsters, mais attention : faut pas trop les chercher, sinon ils crachent le feu, comme on peut le voir dans le titre "Paname Hall Star". Une hymne pour tous les quartiers d'Île de France, un morceau devenu culte avec des couplets légendaires.
On pense évidemment à celui de Mac Kregor, ou encore celui de L'Skadrille, celui de Rim'K et AP, et celui de Sniper pour clôturer le morceau et l'album. Combien de gars en France ont essayé de refaire le rire bressom qui sert d'interlude entre les couplets, couplets qu'on connaissait tous par cœur à l'époque. Bref, certainement un des albums les plus marquants des années 2000, avec un énorme succès à la clé, qui était amplement mérité !