Par SK. « Pendant des années, j’ai eu la tête dans les étoiles et les pieds sur terre ». Qui pourrait ne pas se souvenir du son qui tue de Rohff !? Sorti en 2004, il devient immédiatement un tube, aujourd’hui un classique, et pour cause. C’est la première collab du type : un rappeur confirmé aux lead et un enfant qui pose sur le refrain. C’était Nathy, 13 ans à l’époque, qui ignorait que sa success story était lancée. Aujourd’hui en fin de vingtaine, il est de retour après une longue période d’introspection. Gadamn, disponible ce 24 février 2020, marque l’avènement de Tuco, sa version adulte. Portrait d’un rescapé.
Quand Nathy B.O.S.S devient Tuco…
Un surnom donné par ses proches il y ‘a une dizaine d’années. Tuco donc, c’est le survivant. Comme Ken, il revient de très loin pour défendre un projet : Gadamn. Ni en colère, ni blasé, contrairement à l’autre Ken (Nekfeu), il diffuse des textes plus sombres mais plus intimes, à des années lumière du dancehaller entertainer qu’il fut autrefois : « Si aujourd’hui tu me vois et que tu dis « oh, c’est le petit Nathy ! » ça veut dire que j’ai une page dans l’histoire du rap. Maintenant mon but c’est d’écrire un chapitre, éventuellement d’amener un livre et pourquoi pas une trilogie ou toute une saga. C’est ce que je veux construire».
Pour mieux comprendre son parcours, il faut comprendre la trilogie du plus jeune musicien de l’histoire du hip-hop français : « J’étais beaucoup plus jeune que n’importe lequel des rappeurs qui est arrivé dans ces quinze dernières années. Personne ne savait encore ce que c’était, il n’y avait aucun précédent ». Nathy, l’affectueux diminutif de Nathanaël (son vrai prénom), c’est celui que le public découvre sur le classique de Rohff, Le son qui tue. Celui qui co-anime Skyboss sur Skyrock avec le Jaguarr. On est en 2004, le rappeur du 94 cartonne et partage le haut de l’affiche parmi les plus populaires du moment. Le début des années 2000, dans lequel se situe l’âge d’or du rap français est marqué par la prose énervée du comorien qui, parvient à se démarquer en proposant des morceaux estivaux et entraînants tout en gardant des textes violents de lucidité. A l’été de cette année 2004 il réussi son pari avec son troisième album, La fierté des nôtres, certifié disque de platine et sur lequel figure avec Le son qui tue.
Du R.O.H.F.F come une valeur sûre, sublimé par les refrains d’un jeune garçon alors inconnu de la scène mainstream : Nathy. La bouille, le rythme, le flow : le premier buzz pré-réseaux sociaux est lancé. Trop vite, trop fort, sans qu’il ne comprenne ce qui lui arrive, Nathy est propulsé parmi les grands. Entouré de ses OG depuis le plus jeune âge, il ne réalise pas qu’il est en train d’écrire une page d’histoire : « Je me disais que je devais être le meilleur dans mon délire parce que c’était mon activité mais je ne me sentais pas dans le game. Et puis le game n’existait pas tel qu’il existe aujourd’hui ».
Nathy grandit et devient Nathy B.O.S.S. Un jeune homme à peine sorti de l’adolescence qui met en musique ce qu’il vit. Sur ses projets de l’époque : du soleil, du mouvement, la caraïbe dans c qu’elle a de plus festif. On retiendra des deux mixtapes Bossnup, produite avec Dj Moody Mike : « On l’a réécoutée l’année dernière et on s’est dit que c’était pas trop dégueulasse. » Signé chez E.M.I entre-temps, le Jordy urbain vit une période de fast. Mais il ne se rend pas compte qu’il est en plein cœur de cette industrie naissante hors de contrôle. Il consomme tout ce que la vie peut offrir à un jeune garçon au compte en banque bien garni : « Durant une grande partie de ma vie, je n’ai pas eu à me plaindre financièrement parlant et j’étais entouré de rockstars, j’ai rapidement vécu cette vie-là, la drogue, l’alcool, les sorties, les femmes, les soirées qui durent 4 jours… » Puis, l’album prévu ne sort finalement pas. Le B.O.S.S se fait un peu plus discret, jusqu’en 2015. Cette année-là, il sort avec son aîné de toujours Joey Starr l’album Carribean Dandys. C’est la dernière fois qu’on entendra parler de lui, avant un long moment…« Mais qu’est devenu Nathy, le petit du son qui tue ? ». Il grandissait, en fait, alors que ce succès soudain ne lui en avait pas laissé le temps. Il mûrissait même, peut-être, en tout cas, il se trouvait. Car les projecteurs s’étaient éteints et la fête était devenue triste. Nathy Boss, synonyme de success story d’un teenager, était devenu un poison : « Pendant ma vingtaine, je suis passé par énormément de choses. J’étais dans un rythme de vie dans lequel je me suis grave perdu et quand j’ai commencé à m’en rendre compte je me suis dit qu’il fallait en sortir. Nathy B.O.S.S s’est tué tout seul et c’est cette histoire que je raconte ».
Un déclic, un jour, en Guadeloupe allait le sortir de sa torpeur. Compagne de toujours, la musique n’a jamais été bien loin. Les textes, les mélodies, le jeune vieux, en break, continuait de créer. Mais comment les proposer au public et lequel ? Se souvient-il ? Comprendra-t-il cette renaissance ? Quoiqu’il en soit, il fallait se lancer et partager cette réalité : « Le fait d’avoir été capable de me retrouver en tuant ce personnage qui ne me faisait pas du bien, pour renaître avec un personnage plein d’amour qui ne me fait que dubien, je trouvais que c’était bien de le résumer comme ça, Gadamn ! ». De l’enfance à la l’âge adulte, sans voir passer l’adolescence (l’obsolescence). De la vie de château à la vanité d’une existence mal comprise. Il fallait dire tout ça et tenter de l’expliquer. Gadamn ! : « Gadamn, en anglais américain, désigne les damnés du Seigneur, ceux qui sont rayés de la liste et ne sont pas censés réussir. Je me suis senti comme ça et j’ai vécu comme ça en ayant aussi des échos similaires autour de moi. C’est le premier mot qui m’est venu quand je me suis enfin retrouvé. Gadamn quoi ! »
Revenu à lui-même, il considère son entourage avec un œil nouveau et rencontre à nouveau son ami, Mehdi Darlis, qui deviendra son manager : « À la base, c’est un joueur de tennis professionnel, ami de Gaël Monfils que je connais depuis que j’ai quinze ans. On s’est revus l’année dernière et je lui ai fait écouter ma longue liste de sons. Il a eu une vision et a décidé qu’on devait se lancer. Du coup, on bosse ensemble depuis plusieurs mois. J’aimerais beaucoup continuer de travailler avec des proches parce qu’il y a une bienveillance inévitable. En l’état actuel, j’ai une confiance aveugle en mon manager et c’est la première fois depuis le début de ma carrière. C’est une vraie force. Je voudrais dire à tous ceux qui vivent de leur art de bien s’entourer. C’est ultra important, l’entourage peut tuer des carrière comme il peut créer des légendes». Concernant l’entourage, Tuco en connaît un rayon, à force. Entouré de musiciens depuis l’enfance, son père étant lui-même un artiste de reggae à succès, les anciens l’ont précocement pris sous leur aile. En particulier Joey Starr, avec lequel il entretient une relation quasi filiale : « Joey m’a apporté beaucoup artistiquement et scéniquement. J’ai grandi avec lui, par la suite, on a fait un album en commun donc c’est à la fois un frère, un oncle, un cousin, un poto, un connard, c’est tout en même temps. C’est mon reuf ». Idem pour les autres : « J’ai eu la chance de tourner avec mes OG pendant deux ans sur la tournée de NTM ; ils étaient tous là, sauf Housni parce que c’est une autre équipe. D’ailleurs, dans la Mafia K1fry j’ai aussi des OG, Calbo et Lino en sont aussi, Jacky Brown, j’ai trop de grands (rires). C’est une fierté de voir que pour les gens-là j’ai réussi à figer le temps ».
Le son tue toujours…
« Ce n’est pas un album revendicatif ». Différent. Voilà comment décrire ce projet à la première écoute. Différent car plus mature et sur une profondeur qu’on ne lui connaissait alors pas. Tuco s’étale sur sa réalité, sa vie, son vécu. Entouré des meilleurs, depuis le début, il souhaitait néanmoins faire ce pas en solo. Sauter dans le vide et flotter, comme sur la jaquette. Son histoire, avec Lord Kossity comme unique collaboration : « Ça m’a pris quinze ans à pour être prêt humainement à faire un projet solo. En 2020, je me devais de raconter mon parcours et de revenir tout seul ». Tuco s’et fait plaisir en travaillant avec des producteurs coups de cœur [NDLR : Young Spliff et GG3]. Unique vestige de l’ancien Nathy, l’enracinement à sa caraïbinité à travers le créole : «J’ai eu la chance que ma mère m’envoie en Guadeloupe très jeune et régulièrement donc j’ai toujours été très proche de ma culture. Je suis né et j’ai grandi en France, entouré d’Antillais donc j’ai toujours parlé et créole et plus tard, avec mon ex, j’ai eu l’occasion de pratiquer encore plus, d’apprendre énormément sur mon île, ma culture, mon histoire… La Guadeloupe c’est mon péyi ». De retour dans un game désormais bien rôdé, au sein duquel s’imposent ses compères caribéens : « Quand je vois mes collègues Kalash, Meryl, Saïk, et tant d’autres que je pourrais te citer, je me rend compte qu’aujourd’hui ils y a vraiment une opportunité pour nos artistes de se faire entendre et connaître, ce qui était beaucoup plus difficile à l’époque ».
Un game dont il ne comprend d’ailleurs pas toutes les injonctions : « Le mot « urbain » est un mot que je ne comprends pas. La « pop urbaine » c’est l’Afro en France. Des artistes tels que Naza ou Keblack qui sont de supers nos artistes afro francophones sont classés dans pop urbaine, alors qu’ils naviguent dans les musiques afro et que ça déboîte ! Pourquoi on ne respecte pas cet art-là ? » En dehors du temps et de l’espace, lui se sent pourtant prêt à naviguer entre tout ça. Parce que c’est de ça qu’il s’agit en fait. Put*** la vie ! Put*** de carrière ! Put*** … juste. Naturellement, quel autre titre pour ce tout denier mais en fait tout premier projet de Tuco. Aérien, déconnecté, c’est l’état d’esprit :
Porté par le temps, Tuco s’est aussi lancé dans le cinéma, une autre de ses passions : « Il m’a fallu 25 ans pour avoir les corrones d’essayer. Vers mes 22 ans, j’ai passé un premier casting et obtenu un petit rôle dans un long-métrage. Là, je suis dans le vif du sujet. Mehdi a écrit et réalisé le long-métrage pour me permettre de m’exprimer d’une autre façon, c’est une superbe expérience. Je suis assez fier du résultat. On a fait une première projection, une première confrontation au public et je suis très content et reconnaissant car on a reçu un accueil chaleureux. En parallèle, je travaille sur le biopic de NTM.» Finalement, bien qu’on ne l’attendait pas, comme quand il s’est imposé sur les ondes il y a 16 ans ; et pas sur ce créneau-là, Gadamn est sa création la plus logique. : « Gadamn raconte la vie d’un jeune parisien qui se perd entre rêves, illusions, vie réelle, amour, déceptions, tristesse, bonheur et qui finalement, fait une synthèse de tout ça, se retrouve et s’en va faire la fête et conquérir le monde ». La signature rap/trap d’un jeune loup déjà vieux édifié par le reggae et coopté par la famille du Hip-Hop. Gadamn est disponible sur toutes les plateformes de téléchargements à partir d’aujourd’hui.