"Je me suis rendu compte que la boutique était légendaire lorsque je l'ai fermée."
Par SK. Au départ, Daniel aime le roller et le funk. Il consomme la culture américaine et danse, dans les soirées où mixe Sidney. Le rap, ce n’est pas trop son truc ; artistiquement, rien qui l’impressionne jusqu’à ce qu’il voit le breaker américain Mister Freeze sur scène. Une révélation. Pourtant, entre sa passion naissante pour le Hip-Hop et Ticaret, plusieurs années s’écoulent. Au milieu des années 1980, lorsque son commerce change de cible, il est loin de se douter que la boutique deviendra le sanctuaire du mouvement en France et dans toute l’Europe.
Ticaret origins...
« Françoise, que j'avais rejointe dans ce biz de textile, décide d'appeler le magasin Ticaret parce qu'elle a beaucoup traîné en Turquie et que "Ticaret" indique "commerce" dans la langue. Comme nous avons SARL en France, LTD au Royaume-Uni, les Turques ont Ticaret. Donc "Commerce", ça nous a semblé pas mal comme nom. »
En effet, la formule prend immédiatement. En même temps : « On était un concept nouveau donc les gens étaient forcément à fond dedans ». Parce que Daniel est plus âgé, plus expérimenté et en capacité de tenir des murs dans Paris, il devient naturellement une figure. Car, chez Ticaret, on ne vient pas seulement pour les vêtements :
« Quand la boutique prend son tournant Hip-Hop, les gens viennent surtout pour des starters ou des ceintures mais ceux sont avant tout des activistes. Ils ont tous des idées, tous envie de faire quelque chose. Tu pouvais passer à la boutique me parler de ton projet et on voyait ensemble comment le faire avancer. »
Panam, c’est moins loin que New-York
« Ma mission était d'aller trouver aux clients ce qu'ils voulaient. »
De tous ces activistes, les graffeurs sont les premiers à faire exister le magasin. Au départ, début des années 1980, la clientèle recherche robes Marylin et Teddys. La mode des années 1950 fait un carton quelques temps, puis, comme toute mode, laisse place à une autre :
« Je commence avec des ceintures sur lesquelles les gens enfilent leur tag. Les graffeurs en premier lieu. Ensuite, on commence à voir dans des bouquins de graffe des vestes que tu peux customiser avec ton nom. Ils me proposent de faire ça. »
La ceinture devient l’accessoire phare. Après les graffeurs, les rappeurs, les danseurs et tous les autres veulent s’affirmer en arborant à la taille les lettres de leurs blazes. Pour ça, les gens viennent de partout :
« Chaque produit a une histoire. Au départ, je n'ai pas l'argent pour faire les ceintures donc tout se passe sur commande. Un jour, un client arrive et demande une ceinture alors qu'il n'a pas commandé. Heureusement, il me restait des lettres. Pendant que je les enfile, on discute et il m'apprend qu'il est venu de Bruxelles ! Je suis surpris qu'il ait fait tout ce chemin pour ça et il a cette réponse qui a été le déclencheur: "C'est moins loin que New-York". Les gens venaient de partout en France et même de partout en Europe.»
L'antre du Hip-Hop à Paris...
Ticaret devient rapidement une référence et attire dans Paris intra-muros une clientèle que les riverains n’ont pas l’habitude de voir :
« Dès le début, le voisinage s'est énervé. Les premières demandes de ceintures émanaient des graffeurs donc forcément, ils ont redécoré le quartier. Tout le monde me rendait responsable de ça et seul l'épicier était content parce qu'il écoulait ses canettes (rires). Comme on était peu de commerçants, les râleurs n'avaient aucun pouvoir et le secteur XVIIe-XIX n'intéressait pas les autorités. »
Alors que depuis les banlieues excentrées de nombreux jeunes s’essayent au panel de disciplines offert par le Hip-Hop ; Daniel leur offre la possibilité d’en adopter les codes vestimentaires. Chez Dan, ils peuvent se retrouver, se rencontrer :
« Il n'y avait pas encore de téléphones portables donc on ne pouvait pas se contacter dans la journée. On se donnait rendez-vous et tant qu'on ne se voyait pas on ne pouvait pas savoir alors, le plus simple c'était de se voir chez Ticaret parce qu'on pouvait poireauter tranquille en parlant avec des gens et si finalement tu ne venais pas, tu ne me plantais pas puisqu'il y avait de quoi s'occuper.»
Enfin, là-bas, et nul part ailleurs, ces clients d’un genre nouveau pouvaient faire leur shopping en toute dignité :
« Ils se sentaient chez eux parce que personne ne les pistait dans la boutique et personne n'était privilégié, qui que tu sois, tu faisait la queue et tu attendais ton tour. Il y avait aussi ce sentiment de fierté, de voir un commerce tenu par un renoi en plein Paris et dans le Hip-Hop de surcroît.»
Un service à la demande, dans lequel les rayons sont achalandés au gré des envies des clients :
« Pendant 2,3 ans j'avais la seule boutique qui proposait cet accessoire [NDLR : la ceinture] parce qu'il fallait connaître ce marché et la filière et même si tu avais ça, aucun autre magasin n'avait envie d'un commerce qui attirait les banlieusards.»
S’y retrouvaient les filles, elles aussi consommatrices de la mode new-yorkaise et qui, comme dans le game peinaient à être visibles sur le marché:
« Elles sont aussi des activistes mais elles ne sont pas du tout représentées dans ce milieu. C'est elles qui ont commencé à me demander les bijoux que les filles portaient à New-York, les leggings fluo puis les sneakers.»
Crédit photo: DR
Ticaret inspiration…
« Les gens commencent à se dire qu'on peut gagner de l'argent grâce au Hip-Hop, alors ils viennent me présenter des projets. En passant par la boutique, ils sont sûrs de toucher le plus de monde. ça va dans les deux sens: si tu viens chez Ticaret, ton idée va se développer et Ticaret va aussi se développer grâce à ton idée. »
C’est l’esprit. Plus communautaire qu’intéressé, Ticaret c’est comme une grande MJC où l’on bénéficie d’un accompagnement pratique et de conseils. Pourtant, une boutique c’est un business et ça, le gérant ne le saisit pas assez tôt :
« Jusqu'au bout on fera les choses plus par passion que pour le chiffre. Par exemple, je n'ai pas vendu de franchises pour que d'autres Ticaret ouvrent. C'est ce qui a mis en confiance la rue, qui savait que l'initiative était désintéressée. En même temps, le fait de ne pas avoir eu cet esprit business ne m'a pas permis de perdurer. Je n'ai pas assuré mes arrières. Je me suis laissé emporter par le mouvement. Les gens avaient tellement envie que cette boutique existe, ils avaient tellement d'idées, jusqu'au jour le truc est devenu trop gros pour moi. »
Avant le déclin l’expansion….
Point de vente, point de rencontre et naturellement, studio d’enregistrement. Le rap commence à se répandre et nombreux se sentent prêts à enregistrer et diffuser leur musique. Il n’est pas encore question de signature en label, l’organisation en est encore à ses prémices. Toutefois, Ticaret propose une solution de qualité et à moindre coût à ces ambitieux, sans savoir qu’elle joue à ce moment précis un rôle clé dans l’établissement des carrières de tous les plus grands noms du rap français :
« Un jour, Clyde du groupe Assassin vient me voir et me dit qu'il fait des mixtapes. Puis Cut Killer, puis d'autres artistes. Les studios sont étaient hyper chers donc c'était une bonne solution. Ils venaient et étaient tous hyper autonomes et pros.»
Ces sessions réveillent la fibre musicale de Daniel, bassiste et dj. Puis, de la même façon que le magasin développe ses services, Daniel enfile d’autres casquettes, notamment celles de compositeur et d’apporteur d’affaires :
« Je fais la connaissance du Minister A.M.E.R. Je les présenterai à leur premier producteur. A ce moment-là, Moda a envie de faire une carrière solo. Il me demande de lui faire des instrus et on réalise un 6 titres. Tefa, qui s'occupait de kery James, Diams et d'autres, passe à la boutique et m'apprends que Jimmy Jay fait une compile. Je vais le voir et lui fait écouter le projet; il aime. Entre l'écoute et l'enregistrement, je trouve une boucle, que Moda valide. Ça l'inspire pour faire un morceau qu’il 'écrit sur lui et moi. C'est comme ça que se crée notre groupe, Moda et Dan. On fait un titre sur les quick sessions qui a beaucoup de succès. J'ai fait beaucoup de mixtapes. Express Di (Expression Direkt) et Rod Lion sont venus enregistrer; DJ Mehdi et Kery James aussi. »
Elles donnent également lieu à de grands moments d’histoire :
Crédit photo: Wikipedia
Dj Mehdi :
Mehdi de Colombes (92), fidèle dj de Kery James jusqu’à son accident mortel dans les années 2000, a fasciné tous ceux qui l’ont croisé : «Il était incroyablement doué». Doué et extrêmement débrouillard, comme le raconte Manu Key dans Les liens sacrés . Tous, et Daniel ne fait pas exception, se souviendront de son ingéniosité : « Mehdi arrive avec un sampler fabriqué de toutes pièces par un de ses cousins» et de son oreille :
« J'ai fait une compile à l'époque qui n'est sortie que maintenant ! Quand je l'ai donnée à Driver il m'a dit: "C'est la première fois qu'on me donne un projet 20 ans après" (rires). Kery James et dj Mehdi ont posé un morceau dessus. Je me souviens que juste avant d’enregistrer, Mehdi me dit qu'il n'aime pas la basse. Il fait 2,3 manips, sans vérifier puis donne son go. Il était sûr de lui et effectivement, c'était beaucoup mieux. Ce gars était un génie. »
Crédit photo: Le Parisien
Booba :
Comme Dj Mehdi et les rares artistes dotés de cette petite chose en plus, les témoins des premiers pas du Duc dans le rap en sont restés profondément marqués. Kamal Haussman en témoignera dans son récit sur l’histoire du collectif Time Bomb et ça n’échappera pas non plus au gérant de boutique :
« Il est encore dans ses tout débuts. Il vient avec La Cliqua ; Moda et moi ne le connaissons pas du tout. On a l'idée de faire une compile autoproduite ; je suis en charge du recrutement des artistes rap et lui des artistes de New-Jack comme Vibe ou Matt Houston, qui à l'époque ne fait encore que les choeurs. J'enregistre les rappeurs de La Cliqua un par et un puis, Booba commence à kicker. ll ne pose pas du tout comme les autres. Si je faisais écouter le morceau aujourd'hui, on ne reconnaîtrait pas Booba dessus, la voix n'est pas la même et techniquement, le morceau est claqué comme tout ceux enregistrés à cette époque-là (rires). Depuis, ils ont tous progressé mais, lui, son flow était inédit. Il pose toujours en one shot et si jamais il se rate, il refait le morceau en entier, pas de drop. Il est pointilleux. Je suis soufflé. A la fin, on va le voir pour lui demander de quel groupe il fait partie. Il nous dit qu'il appartient à Lunatic, qui lui-même appartient au groupe Coup d'état phonique, qui appartient à La Cliqua. Une affiliation hyper compliquée. Le gars met tout le monde à l'amende mais il est en train de me dire qu'il est le sous-groupe du sous-groupe du sous-groupe (rires). Avec Moda on lui dit qu'il n’a pas besoin de tout ce monde. A cette époque, Danny Dan des Sages poètes de la rue traînait souvent à la boutique. Les deux sympathisent parce que ce sont des charrieurs. C'est chez Ticaret qu'ils se rencontrent et se rendent compte qu'ils viennent du même endroit. C'était classique, tu venais à la boutique et tu repartais avec un pote. »
Pendant plus d’une décennie, on s’autoproduit, on fait des connexions artistiques et on vit le Hip-Hop chez Ticaret. Le coin est incontournable et pourtant, Daniel reste discret :
« Un jour Danny Dan se perd à la sortie du métro. Je le croise et il me demande où se trouve Ticaret. Je lui propose de l'emmener, sans rien lui dire. Une fois qu'on arrive, je passe tranquillement derrière le comptoir. Quelques années plus tard, il me reparlera de ça (rires).»
La fin d'une époque...
Moda et Dan masterisent des compiles, le rap explose en France. Ils l’avaient fait pour ça, tous, activement avaient contribué à rendre possibles des carrières. Cependant, cette agitation qui pose les bases de l’âge d’or du rap français : « Ça décolle pour chacun d'eux, ils signent en maisons de disques. » auront un impact insoupçonné sur l’avenir de Ticaret et sur son propriétaire en premier lieu :
« Ce succès me perturbe parce qu'à partir de là, je suis plus intéressé par le groupe que par la boutique. » Entre-temps, le grand public adopte massivement les codes du genre et les marques comprennent que cette cible représente un véritable marché ; elles s’engouffrent :
« Ticaret commence à perdre du terrain puisque la concurrence s'implante sur ce business. De plus en plus de boutiques ouvrent aux Halles et les gens n'ont plus besoin de venir à Stallingrad, un quartier qui craint. Ils peuvent être plus tranquilles là-bas et il y a plus de meufs. Tout se passe à Châtelet.»
En effet, un nouveau phénomène voit le jour dans ce secteur à la croisée des XVIII,XIX et XXe arrondissement. C’est l’avènement du crack et par extension, l’explosion de l’insécurité :
« Je vois apparaître ce commerce qui n'existait pas avant, des va-et-vient et des flics en civile qui tournent et m’achètent parfois une casquette pour essayer de se fondre dans la masse. »
Ce qu’il ne voit pas, en revanche, c’est l’urgence de résister. D’abord embourbé dans des problèmes financiers :
« Je mets du temps à prendre le plis parce que j'ai sur le dos un empreint que j'avais contracté pour acheter des vêtements et des chaussures Troop, la marque soutenue par LL Cool J. Au bout de deux ou trois ans, j'arrive finalement à m'implanter aux Halles grâce à un investisseur. Je refais un bon coup avec Elyonsen, la marque que portent Method Man et NTM.»
Cependant, Daniel a l’esprit ailleurs :
« Je ferme en 1998. L'expansion du marché et mon envie de faire de la musique me poussent à arrêter. Je rêve de carrière musicale et je ne me projette pas dans les affaires. Je me dis qu'on peut arrêter maintenant, le temps que je fasse mon son et que si jamais ça ne fonctionne pas je pourrais toujours reprendre un boulot vite fait. Pas du tout en fait.»
Les jeunes amateurs de hip-hop deviennent des stars. Toutefois, leurs rapports ne changent pas et, bien qu’ils aient moins de temps pour venir traîner à la boutique, jusqu’au bout, ils ont à cœur de préserver ce refuge atypique qui les a vus évoluer :
« Un jour, Cut Killer vient acheter et comme il prend beaucoup de pièces, je propose de l'arranger. Il me dit "Mais Daniel, c'est pas la peine". En disant ça, il me fait comprendre que les petits clients que j'avais sont devenus des mecs qui gagnent beaucoup plus d'argent que moi (rires). Je m'aperçois que le marché est devenu énorme ! Stomy sort "Mon papa à Moi", on est loin des débuts de Ticaret. Ils vont tous à New-York à l'aise alors ils sont désormais plus dans le soutien de la boutique.»
Le soutien, conformément à l’esprit initial du début. Ainsi, dans sa tentative de carrière, les rappeurs lui tendent la main :
« A ce moment-là je suis beaucoup en contact avec Joey Starr. On essaye de composer tous les deux mais on ne se comprend pas. La volonté est là mais ça ne colle pas. Pareil avec Booba. Je fais de la musique mais les artistes sont plus dans le côté "on va donner un coup de main au mec qui a fait quelque chose pour le Hip-Hop". C'est drôle parce que les deux se détestent mais ont eu ce même égard vis-à-vis de moi. »
Sur cette période compliquée : « Rien ne s'est passé comme prévu et sur le moment, je ne me rendais même pas compte que j'avais pété les plombs. » Daniel porte aujourd’hui un regard plus franc. Le fardeau des précurseurs, c’est de ne pas avoir de modèle pour éviter les écueils :
« Je ne suis pas issu d'une famille d'entrepreneurs et je n'ai pas eu de modèles qui auraient pu m'apprendre à mettre de l'argent de côté, à prévoir.»
L’incapacité de pouvoir copier rend l’échec plus retentissant, surtout quand l’on a été l’un des personnages emblématiques de tout un mouvement :
« A l'intérieur, j'étais effondré, j'ai fait une grosse dépression. Ça ne se voyait pas mais les deux ans qui ont suivi la fin de Ticaret ont été très durs. Je n'ai jamais réussi à rebondir financièrement. Il m'a fallu 3 ou 4 ans pour accepter de retravailler pour quelqu'un.»
Grâce à un contrat de Dj au Réservoir, il réussit à garder un pied dans sa passion et à ne pas totalement sombrer. La fin de cette aventure est à l’image de la fin d’une époque, de cette époque, celle qui a permis aujourd’hui que des gens prospèrent dans le Hip-Hop, comme artistes bien sûr mais aussi comme producteurs, comme managers, beatmakers… et de changer le rapport de ces autodidactes avec les magnats de l’industrie. Pour cela et pour que cela arrive plus tôt, il eût fallu pouvoir élargir son champ de perspectives ; ce que le contexte initial des protagonistes n’a pas toujours permis :
« Quand j'étais à l'école, mon rêve était de devenir chef électricien. Avoir ma propre voiture et réparer les ascenseurs me paraissait être la grande vie. Donc tu vois, même en termes de projection on était limités.»
Une fois les destins réalisés, point de nouvelles ni d’héritage en dehors des souvenirs précieusement gardés par les contemporains. Ici réside la principale problématique :
«On n'a rien retransmis. Absolument rien. Le côté positif c'est que rien n'a été imposé à la nouvelle génération, il n'y a pas eu de codes à proprement parler. De l'autre côté, on leur reproche souvent de ne pas respecter les valeurs mais à qui la faute ?»
Crédit photo: DR
Ticaret, forever and after…
Voilà plus de 20 ans que le sanctuaire a fermé ses portes et pourtant :
« Je me suis rendu compte que la boutique était légendaire lorsque je l'ai fermée. Sur Facebook, je reçois encore des commentaires de clients sur la page de la boutique alors qu'elle est fermée depuis plus de 20 ans.»
Du haut de son expérience et de son statut, l’ancien porte un regard nuancé sur la jeune génération. Au-delà des clash qui ont pu survenir entre certains artistes (mais jamais dans la boutique ; il y veillait), il garde pour chacun d’eux la bienveillance des tuteurs, notamment pour les deux stars aux parcours remarquables que sont devenues Joey Starr et Booba :
« Quoi qu'on en dise, je mets qui que ce soit au défi de devenir une vedette à 18 ans, de se maintenir jusqu'à 40 et de garder les pieds sur terre tout le temps. »
Et de rappeler à l’adresse de tous les autres:
« Je suis heureux et content pour eux. Depuis les débuts, quand on tombe dans le Hip-Hop, on en fait justement la promo pour qu'il explose. A ceux qui lui reprochent d'être devenu super commercial j'ai envie de répondre qu'on s'est battu pour ça. C'est comme un enfant, tu l'élèves et une fois qu'il est majeur il fait ce qu'il veut. Petit Hip-Hop est devenu grand, tant mieux ! »
Alors que ne sera jamais clos le débat entre l’ancienne et la nouvelle école, le dandy Ticaret affiche un positionnement sans appel :
« Je ne suis pas partisan du "C'était mieux avant". Quand des anciens disent ça, c'est comme s’ils avaient oublié. Quand on était là, nous, qui aurait pu nous fixer des règles ? On a fait notre propre histoire et chacun doit en faire autant. Ça n'empêche pas que cette génération s'intéresse à ce qui a été fait avant. Hélas, seulement par Youtube et Google, certes. Ils s'en foutent un peu mais, l'info est là.»
En effet des bribes d’histoire existent sur la toile, encore faut-il avoir envie d’aller les chercher. Car, pour savoir et découvrir, rien de mieux qu’un lieu physique où l’on peut s’adresser en direct à ceux qui ont fait exister ce mouvement. Une tentative, du nom de Laplace Hip-Hop, a été initiée par les politiques il y a quelques années mais, avec la maladresse de la méconnaissance, les institutionnels, comme souvent, n’ont pas réussi le pari :
« Tout le monde a vu que c'est complètement raté. Ils l'ont fait avec des gens qui ont effectivement connu l'époque mais qui n'étaient pas des activistes du Hip-Hop. Ils auraient pu mieux s’y prendre ou consulter. Côté rappeurs par exemple, quand tu vois Fianso il en a fait beaucoup plus pour le rap que tous ces gens, ils devraient prendre des cours.»
Le créneau demeure vide. A la question de savoir si l’idée de remettre ça lui a traversé l’esprit, il est catégorique, la page est tournée. Même si le concept store Chez Colette avait titillé sa nostalgie. Côté contribution, Daniel a déjà fait bien plus que sa part, même s’il l’admet :
« Il manque un lieu où tu pourrais t'entraîner, être accompagné, communier; auquel tu pourrais accéder sans être forcément introduit par une connaissance. Tous les passe-droit, les clubs par cooptation ça ne me parle pas. Je n'aime pas les blocages. Normalement ton passe, c'est ton talent. Certains entrent dans ce mouvement uniquement pour faire de la thune, pas pour contribuer. Dans cette démarche, tu peux en faire, mais tu n'en feras pas longtemps.»
Afin de boucler la boucle, et parce que c’est dans l’ère du temps, Daniel accepte volontiers de raconter, de témoigner et d’inscrire ce chapitre dans l’éternité. Pour ce faire, il compte bien profiter, sur invitation, des différents supports offerts par l’audiovisuel. Des films et des séries sont en projet pour enfin donner voix à ces doyens du Hip-Hop. En attendant, toujours passionné, Daniel continue d’observer la progression du rap français :
« Je m'intéresse aussi beaucoup à ce qui se fait aujourd'hui. Je regarde «Rentre dans le cercle ». J'écoute énormément d'artistes comme Niro, Némir... J'ai kiffé le projet Bande Organisée. Faire revenir un Luciano ou IAM, c'est plus ça pour moi l'esprit Hip-Hop, la communauté. Je suivais de près jusqu'il y a peu, avec l'arrivée de la Drill, j'ai plus de mal à m'intéresser aux textes. Aujourd'hui j'écoute le rap français comme le rap américain: tout se joue sur l'instru."
L’ancien propriétaire de cette boutique érigée en musée malgré lui est sur les réseaux sociaux. Suivez Dan de Ticaret pour connaître son actualité.