"Dernier Round" : Kool Shen sortait son premier album solo il y a 20 ans

"Dernier Round" : Kool Shen sortait son premier album solo il y a 20 ans

La partie sombre du "Nique Ta Mère" dévoilait son premier album solo, qui a clairement été son meilleur.

L'année 2004 a été plutôt active, ce qui fait qu'en 2024 on a eu un paquet d'anniversaires d'albums importants à fêter dans le rap français. On avait notamment parler du premier "street album" de Sinik, il y a quelques temps et cette semaine, on va s'attaquer au premier projet solo d'un autre rappeur français mythique, chauve lui aussi, mais cette fois en provenance du 93 ! Il ne s'agit pas de n'importe qui : Kool Shen, moitié du groupe NTM, qui été plus ou moins dissout à l'époque, fait partie des pionniers de notre mouvement et aussi des meilleures plumes de l'histoire du rap français. Avec "Dernier Round", le boss de IV My People signe son premier album solo, celui qui a eu le plus de succès et probablement celui où le rappeur était dans sa meilleure forme, avec l'envie d'en découdre après la fin de l'aventure NTM. On ne saurait pas dire si ce disque est un véritable classique du rap français, ou s'il a plutôt été une porte d'entrée vers le rap pour beaucoup de jeunes auditeurs de musique, ce qui est sûr, c'est qu'il a été la plus grosse vente de rap français de l'année 2004. Et on va tenter de vous expliquer pourquoi.

"This is not a pop album"

Dès les premières note du premier track de l'album, on est mis au courant : on ne va pas écouter un album de variet', sans vouloir manquer de respect à la chanson française. Il faut dire qu'à l'époque, faire du rap était une vraie revendication, vis à vis du monde de la musique. Le rap était mal vu, et après des années 90 assez brillantes avec des majors qui signent des rappeurs à tour de bras, les maisons de disque ont fermé les vannes, soi-disant à cause du comportement un peu incontrôlable de certains rappeurs. Donc, de Marseille au 93, on "nique la musique de France" : ça n'est pas dans notre culture.

Sur "On a enfoncé les portes", Kool Shen raconte donc le chemin parcouru, en mode egotrip, auto-célébration : s'il n'avait pas enfoncé les portes avec NTM, puis avec IV My People, qui l'aurait fait ? Un morceau nécessaire après une "absence" relativement longue de Kool Shen, lui qui était un peu en retrait depuis la séparation de NTM, préférant se concentrer sur son label et les artistes dont il s'occupe. Mais avec ce disque, il montre à tout le monde qu'il peut aussi faire de grandes choses en solo. Des morceaux bien agressifs, bien tapant, comme "On a enfoncé des portes", mais aussi "Two Shouts For My People", en featuring avec Big Ali, omniprésent dans l'industrie à cette époque, ou encore "Qui suis-je?". Des morceaux dans lequel le rappeur se présente en solo, à un public qui ne le connaissait qu'à l'intérieur de NTM, ou en feat avec les artistes de IV My People. Un rappeur intelligent, doué avec les mots même si clairement, on n'aura pas droit aux meilleures punchlines de sa carrière sur ce disque, qui reste quand même bien réussi.

Entre ombre et lumière, mais avec beaucoup d'ombre

Si le disque peut paraître un peu sombre, avec les prods new-yorkaises de Madizm et Sec.Undo et Kool Shen qui a cette tendance à renvoyer une image un peu austère, on a aussi droit à quelques tubes en puissance, qui détonnent d'ailleurs un peu avec le reste de l'album. Globalement, on a une très grosse partie du projet assez "sombre", au moins dans les sonorités : "Y Suffit d'un rien", "Change de Style", "Oh No", "Les médias", on peut dire que l'ambiance est assez triste, déprimée, on sent que l'artiste arrive sur ses 40 ans et que les messages plein d'espoirs de "Le monde de demain" ont laissé place à une véritable amertume. Il faut dire aussi que les rapports entre les jeunes et la police se sont durcis dans les quartiers et qu'avec le 11 septembre, le monde entier a basculé dans la peur, un album bien dans son époque du coup. Et encore, on n'a pas parlé de "Un Ange dans le ciel", qui est un hommage poignant à Lady V, son ancienne compagne décédée, qui a d'ailleurs été le morceau le plus diffusé de l'album.

Mais à côté de ces morceaux sombres, avec pas mal de constats sociaux assez ternes, il y a aussi quelques éclaircies, qui détonnent justement un peu avec le reste du projet. On ne saurait pas dire s'il s'agit de respirations, ou si au contraire ça dénote trop et ça vient tuer la cohérence du projet. En tout cas, "Two Shouts For My People" et "Le retour du babtou" proposent une ambiance bien plus chaleureuse, même si rétrospectivement ça peut avoir l'air un peu kitsch, surtout le deuxième morceau avec une instru quasiment disco, en tout cas très orientée club. On peut aussi mentionner l'interlude "93.2 Radio". Pour ceux qui aiment bien l'humour un peu sarcastique / pince-sans-rire de Kool Shen, on rigole bien, pour les autres, ça peut éventuellement vous faire arrêter l'écoute du projet, mais vous êtes pas drôles.

Un album mal-aimé ?

Visiblement, cette ambivalence et ce "manque de cohérence" en a dégoûté plus d'un. Le disque fait un peu figure de mal-aimé dans le Panthéon des albums de rap des années 2000 et ne figure pas dans les meilleurs albums de l'époque. Pourtant, il a été un vrai succès commercial, s'est bien vendu et a permis à Kool Shen de donner plusieurs concerts, dont le fameux "Dernier Round au Zénith", qui a été capté et vendu en DVD. Les prods de Madizm et Sec.Undo sont efficaces, très new-yorkaises sans être oppressantes, mais peut-être un tout petit peu datées pour l'époque. Kool Shen, lui, est un peu dans une posture de puriste : déjà à l'époque, on avait des rappeurs qui disaient que le rap c'était mieux avant. Mais alors qu'il approche les 40 ans, on peut dire que cette posture un peu réac lui va plutôt bien, notamment dans "Change de Style", en featuring avec Zoxea, un des rares feats de l'album.

Mais si cet album est effectivement imparfait, il tutoie les sommets par moments. Notamment sur la dernière partie avec un enchaînement de titres de haute volée : "Un ange dans le ciel", "Les médias", "Quand j'prends le mic'", et surtout, "Dernier Round", qui est le dernier titre du projet. Une connexion avec Oxmo Puccino, sur laquelle on sent la complicité des deux rappeurs, avec un Kool Shen touchant et un Oxmo qui flirte avec la perfection à chaque fois qu'il prend le micro à l'époque.