Sinik a écrit son autobiographie comme ses textes. Ce n'est pas parce que cette fois ce n'est pas un texte de rap mais un livre qu'il a édulcoré ses propos. Si "Une époque formidable" est aussi le titre d'un de ses morceaux les plus connus, c'est désormais celui du récit de sa vie et que ce soit dans un texte de rap ou dans celui de son bouquin, il ne lâche rien, jamais. Sa plume est crue, elle décrit sa terrible réalité, sans pathos mais avec véracité et sensibilité, sans atermoiements mais avec dureté et lucidité. Car s'il raconte sa vie, Sinik ne nous épargne rien mais ne s'épargne rien non plus. Il aurait pu "romancer" une partie de son parcours, de son échec scolaire qui devient évident alors qu'il était encore très jeune à la misère la plus noire dans laquelle il a vécu pendant des années à son lent glissement du côté obscur de la force et la délinquance. Il aurait pu s'épargner la description des GAV, de ses peines de prison, des coups qu'il a voulu tenter ou de ceux qu'il a vraiment fait. Mais non, il a été clinique, n'omettant rien, n'oubliant rien. Pas pour nous tirer une larme, juste parce que c'est ça son histoire, crue, brutale, violente, remplie de mauvais choix.
Aujourd'hui, à 40 ans passés et père de deux enfants, il a le recul nécessaire pour savoir que tout ce qu'il a fait n'était rien d'autre qu'une longue suite d'erreurs, ou presque. On ne sait pas s'il a consulté pour réussir à regarder son histoire aussi posément et avec autant de lucidité mais force est de reconnaître que la vérité transpire de chacune de ses lignes, qu'il décrive un coup qu'il voulait faire ou les regrets qu'il en a aujourd'hui. Idem, son but n'était certainement pas de faire pleurer sur son sort ou de nous apitoyer sur son histoire mais quand il raconte le froid pour dormir parce que le carreau de la pièce est cassé et qu'il n'y a pas assez d'argent pour le chauffage, il est juste tristement lucide et réaliste.
Alors oui, ce sont tous ces phénomènes qui ont fait de lui la star qu'il est devenu. Mais là, encore, il ne s'épargne rien. Il ne s'octroie quasi aucun talent, juste celui de savoir mettre des mots sur des maux et celui d'avoir la rage de les dire. Mais le plus intéressant n'est pas sa montée vers la gloire mais plus tôt, là encore, la lucidité glaçante quand il sait que sa carrière vient de se terminer avec un disque qu'il qualifie lui-même de raté, son quatrième, "Ballon d'or". Il y aura bien une velléité de repartir au combat mais son tour était passé. Et ça aussi, il le dit avec lucidité, comme une froide analyse qu'il réussit à faire. L'âge d'or était terminé, c'est comme ça.
Surtout, on connaît Sinik le rappeur, la bête de scène mais dans ces lignes on découvre aussi Thomas le fils, le neveu, le pote et surtout le papa. Quand il parle de ses filles, on voit un autre homme, différent, moins dur, presque plus humain. Et on est tout aussi ému quand il parle de sa mère et de sa perte ou de la maladie de son père.
Sinik sait qu'il a fait le mal, qu'il n'a pas été un fils modèle, un citoyen respectueux des règles mais il ne cherche pas l'absolution, il ne se réfugie pas dans son passé pour expliquer le pourquoi du comment. Ce qui devait arriver arriva et il regrette beaucoup de choses et il a le courage de le dire. Franchement, ça c'est vraiment impressionnant. Il n'occulte rien, ne se cherche pas d'excuse et sans chercher à clasher ou réécrire l'histoire, il revient aussi sur son clash avec Booba ou ses relations avec Diam's, sans fioriture, sans fanfaronnade. Au final, c'est livre résolument honnête qui est passionnant justement pour ça : il ne justifie rien, il raconte juste, avec ses mots puisque ce bouquin n'a pas été écrit par quelque d'autre alors on retrouve ce que l'on aime chez le rappeur, la dureté, une certaine violence, la rage mais aussi la vérité et la sincérité.
Bref, vous l'aurez compris, on a beaucoup aimé.
Grégory Curot