J'ai eu le plaisir de recevoir Benjamine Weill pour un podcast il y a quelques mois et on avait échangé sur son amour et du rap et comment cela sa traduisait dans sa vie. Intelligente, brillante et philosophe de formation, on sentait bien que le rap était un élément fondamental de sa vie et que, forcément, c'était un sujet auquel elle réfléchissait beaucoup. Forcément, je n'ai pas été surpris quand elle a parlé sur les réseaux d'un livre qu'elle était en train d'écrire tant cela tombait sous le sens. Cet ouvrage, c'est "À qui profite le sale ?" mais ce qui est peut-être plus important, c'est la baseline "Sexisme, racisme et capitalisme dans le rap français" qui laissait entrevoir un programme ambitieux mais clairement casse-gueule.
Alors, quand je l'ai commencé, je pensais que j'allais forcément être en désaccord avec elle à un moment ou à un autre, selon les sujets ou les thèmes évoqués. Non seulement ce n'est pas arrivé mais en plus il faut bien reconnaître qu'elle a raison sur toute la ligne. Elle montre comment le rap français a changé et perdu ses idéaux d'origine pour devenir une machine à cash qui ne s'embarrasse pas (plus) de réflexions politiques ou sociales. Elle démontre également que son environnement s'est transformé et que les clichés racistes et sociaux y ont encore cours que ce soit dans les maisons de disques qui s'engraissent sur le dos du rap ou chez les observateurs, journalistes compris, ce qui m'a fait réfléchir sur la façon dont je voyais le rap et surtout sur la façon dont je le racontais depuis plus de 20 ans. Féministe convaincue, elle réussit aussi à montrer que le sexisme "règne en maître" et qu'il n'existe pas beaucoup d'alternatives entre la mama et la putain. Quant au capitalisme, il suffit de regarder autour de nous pour comprendre qu'il a totalement imprégné nos sociétés et donc, par rebond, les musiques que l'on écoute. Et ne croyez pas qu'il ne s'agisse que de son avis : tout est sourcé, que ce soit des travaux universitaires ou des essais ou mieux, avec les paroles mêmes que l'on retrouve dans les textes des rappeurs. C'est peut-être son avis mais force est de constater qu'on ne peut absolument pas lui donner tort.
À un moment quand même, on se dit que rien ne trouve grâce à ses yeux et on se pose la question de pourquoi elle écoute encore du rap, une musique qui semble l'avoir tellement déçue. Et puis, vers la fin du livre, elle explique pourquoi tout n'est pas noir et pourquoi il ne faut pas désespérer du rap en citant de nombreux exemples d'artistes qui ont réussi à s'extraire de tous les carcans évoqués plus haut pour développer un rap intransigeant et sans concession. Une manière, aussi, de prouver que tout est encore clairement possible.
Le seul bémol, peut-être, que l'on peut émettre, c'est que, finalement, ce que Benjamine Weill fait remarquer comme étant des tares du rap français ne sont en réalité que ceux d'une société en déliquescence, il n'y a qu'à regarder autour de nous pour comprendre. Le rap n'a fait, en quelque sorte, que suivre la tendance d'un environnement toujours plus obnubilé par l'argent, l'apparence et, finalement, le vide, généré en partie par la surpuissance des réseaux sociaux.
Ceci dit, ce livre est une lecture très fine et très précise du rap d'aujourd'hui. Et si, comme moi, vous pensez que vous n'allez pas être d'accord avec les thèses développées, vous allez vite vous rendre à l'évidence. À lire donc.
Grégory Curot