BFM TV et le rap, une certaine idée du mépris

Quand une chaîne nationale nous prend pour des abrutis...

Évidemment, cela ne vous aura pas échappé, BFM TV, sans doute en manque de sujets anxiogènes à traiter, s’en est pris aux auditeurs de rap qui, selon elle, feraient beaucoup plus de fautes d’orthographe que les autres. Autrement dit, ceux qui écoutent du rap sont des te-bés. Venant d’une chaîne où le bandeau sur lequel défilent des informations brutes est régulièrement raillé sur les réseaux sociaux pour le nombre et la gravité de ses fautes d’orthographe, il y aurait de quoi en rire si cela ne cachait pas quelque chose de plus grave : le mépris. Le mépris envers une musique que les médias généralistes n’ont jamais bien compris même si, heureusement, beaucoup de bons journalistes, enfants de la culture hip-hop ont réussi à y entrer et à légèrement inverser la tendance. Le mépris envers une musique aujourd’hui numéro une que BFM TV semble ne pas comprendre ou ne pas vouloir mettre à sa vraie place. Un mépris enfin plus grave, un mépris de classe envers une musique populaire venant des quartiers et qui touche une population qui se retrouve dans les lyrics des rappeurs, fussent-ils plein de fautes. C’est la même chose que Nikos incapable de prononcer correctement le nom d’Aya Nakamura, c’est Nagui qui se moque ouvertement de Fabe, etc, etc… C’est oublier aussi que chacun d’entre nous pourrait citer des dizaines de noms de personnes fans de rap qui ont suivi des études ou réussi dans la vie et qui ne font pas ou peu de fautes d’orthographe pour autant.

Je vais prendre l’exemple que je connais le mieux et pour une fois, faire une chose que je ne fais jamais, parler de moi. J’ai découvert le rap en 1990 avec "Le Monde de demain" de NTM, j’avais 14 ans. J’ai basculé dans le hip-hop immédiatement, terrassé par un véritable coup de foudre. Aujourd'hui, j’ai 44 ans. Donc, d’après BFM, je n’aurais dû rien faire de ma vie. Or, j’ai deux Bac+4 et je suis journaliste depuis 20 ans et ironie de l’histoire, j’ai travaillé quelques jours pour le site de BFM il y a quelques années et je n’ai pas souvenir que quelqu’un m’ait dit que j’avais fait des fautes dans mes articles…

 

Le reportage de BFM est d’une rare mauvaise foi et très orienté. Martin, le premier élève interrogé est fan de Jul et explique : "il m’arrive de faire des fautes d’orthographe en écrivant un e-mail, un sms ou même dans des dissertations". Mais n’est-ce pas le cas de tout le monde finalement ? Martin est-il vraiment un cas isolé ? Qui peut lui jeter la pierre ? Personne en vérité. Et ensuite, le raccourci est vite fait avec la seconde élève, Amélie, qui écoute du rock et de la musique indie, "une exploratrice" selon le pseudo expert interrogé. Et là, le journaliste n’y va pas par quatre chemins et balance son explication comme une vérité établie :  "L’enquête n’est pas tendre avec les amateurs de rap, ils ont des lacunes en français […] À l’inverse, les amateurs de rock ou de musique indépendante sont plus à l’aise avec la langue de Molière". Le tout monté et cuté de telle sorte qu’on peut se demander si certaines des réponses n’ont pas été "orientées". Il est clair en tout cas que le "journaliste" n’a jamais écouté Médine et sa série "Fils du destin", Kery James, IAM, NTM, Assassin dont les textes sont toujours d’une rare lucidité sur le monde qui nous entoure ou tant d’autres qui multiplient les références culturelles et historiques dans leurs textes, et parlent bien mieux que les journalistes de la vie dans les quartiers défavorisés.

Finalement, s’il n’était pas si grave, ce reportage serait risible. Surtout, il souligne que malgré la progression du rap comme musique numéro une aujourd’hui en France, les "grands esprits" le considéreront toujours comme une sous-culture. N’est-ce pas ce qu’avait déjà dit Zemmour ? Finalement, il faut peut-être se demander s’il ne vaut mieux pas être fier d’être méprisé par des gens aussi méprisables…

Grégory Curot