Le rap italien était jusqu’à il y a quelques temps relativement inconnu en France et à l’internationale. La scène italienne, portée par Fabri Fibra, restait relativement confidentielle, et surtout, elle commençait un peu à tourner en rond, avec une manière de rapper très monocorde, très « à l’ancienne » selon nos critères français. Ça n’enlève rien à la qualité des morceaux, mais ça nous conduisait à regarder ces artistes de haut, comme s’ils étaient en retard, que ça soit dans le flow, dans les instrus ou les visuels des clips.
Le rap italien était donc dans l’attente d’agitateurs, de créateurs de tendances, et c’est à ce moment qu’apparaît Ghali. D’origine italo-tunisienne, et né à Milan en 93, il commence le rap en 2011, avec ses acolytes de la « Troupe d’Elite », Er Nyah, Maite et FonziBeat. Ils se font rapidement remarqué par leur caractère avant-gardiste, avec des instrus qui pouvaient être parfois plus lentes, parfois beaucoup plus rapides, (trap ou dirty south), et un flow qui peut se découper pour coller parfaitement à la prod.
En 2011, Ghali, ainsi que quelques-uns de ses frères d’armes, sont repérés par de plus gros artistes comme Fedez, avec qui ils commencent à collaborer. Ils vont enchaîner les projets très courts (parfois seulement un titre, sans albums), jusqu’à la sortie d’une mixtape en 2013. Plusieurs embrouilles avec les labels plus tard, il décide de sortir ce projet gratuitement sur une plateforme indépendante, sorte de HauteCulture italien. Puis, après une longue pause de deux ans, il revient en 2015 avec un single, « Optional », qui deviendra un hit.
Ce single est un tournant dans la carrière de Ghali. Déjà parce qu’il consacre la collaboration entre Ghali et son producteur fétiche, Charlie Charles, avec qui il continuera d’enchaîner les hits pendant quelques temps. Charlie Charles, beatmaker italien (encensé par le magazine Rolling Stones), est facilement identifiable à ses prods lourdes, avec une basse qui tabasse surmontée de mélodies souvent glaciales, stressantes. C’est cette collaboration entre les deux qui va permettre à Ghali d’exploser, grâce à la confiance que Charlie a placée en lui.
C’est à partir de ce moment que le rappeur va progressivement devenir une star, et qu’il va se démarquer du reste grâce à son identité, mais aussi grâce aux featurings que Ghali va multiplier, dont une excellente collaboration avec Sfera Ebbasta, autre symbole du renouveau du rap italien.
Puis, aux prods incroyables de Charlie Charles, il va ajouter son rythme et son charme oriental, lui venant sans doute de ses origines tunisiennes, et cette recette va bientôt séduire toute l’Italie.
Mais Ghali, c’est bien plus que du rap, juste du rap. C’est aussi un génie du marketing, lui qui affirmait que les formats albums étaient réservés aux vieux artistes, et qu’il préférait sortir un single qui fait mouche tous les deux mois. Souvent comparé à PNL, les points communs dans leur musique ne sont pas évidents. Mais les clips de Ghalli, avec des visuels toujours très soignés, toujours très artistiques, n’ont effectivement rien à envier aux deux frères des 91. Il a d’ailleurs lui aussi atteint plus de 40 millions de vues sur son tube Ninna Nanna (plus de 120 millions au total sur toute sa chaîne Youtube), qui est devenu disque de platine.
Le sommet du génie de la communication est atteint pour la sortie de son morceau « Pizza Kebab », morceau qu’il a teasé via deux vidéos d’une minute. Il a créé autour de lui une sorte d’aura mystérieuse, donnant plus de profondeur à son personnage artistique. Résultat : un million de vue pour chaque le premier teaser, presque sans une note de rap. Un coup de maître. Et un autre million pour le second teaser, où on le voit rapper sur un beat box fait à base de claquements de doigts.
Pour ce qui est des textes et de la manière de rapper, Ghali nous parle de son univers, de ses doubles racines, de la pauvreté de ses parents, n’hésite pas à envoyer de très grosses piques aux politiciens, ni à rapper sur les Pizza au Kebab. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais parler de pizza au kebab dans le pays où ce plat est sacré, c’est une belle manière d’envoyer valser tous les codes de l’Italie ancienne et vieille, dont les jeunes italiens ne semblent plus vouloir.
La France commence doucement à prendre la mesure de ce qui se fait de l’autre côté des Alpes. L’année dernière, SCH avait invité Sfera Ebbasta sur son album pour le morceau Cartine Cartier. Dans le même temps, le Dark Polo Gang milanais est devenu incontournable. Cette année, c’est au tour de Lacrim de collaborer avec Ghali. Si on ne sait pas exactement quand ce morceau va sortir, ni s’il sera sur l’album de l’un ou de l’autre, on sait une chose : on a hâte de voir ce que ça va donner.