Depuis son implantation en France, les histoires entre le rap français et la justice sont devenues une triste habitude. De NTM à La Rumeur, en passant par Sniper et Lacrim, beaucoup d’artistes ont rencontré des problèmes au choix pour leurs textes trop incisifs ou simplement par le passé qui les rattrape. Ainsi, demain, 27 octobre 2017, deux procès se tiendront pour deux motifs diamétralement opposés, à savoir ceux de Jo le Pheno et de Rohff. Si vous êtes passés à côté d’une des deux affaires, séance de rattrapage et décryptage.
I) Jo le Pheno : Une entrave à la liberté d'expression
Ce n’est pas encore une tête d’affiche mais celui qui se surnomme Jo le Pheno est un jeune de 22ans issu du quartier des Amandiers (20ème arrondissement), aussi appelé la Banane. Le rappeur parisien s’est malheureusement fait connaître, en septembre 2016, pour un clip intitulé « Bavure ». Durant cette prestation audiovisuelle, l’angle principal était de dénoncer les violences policières subies de façon récurrente et rendre hommage à Lamine Dieng (habitant du secteur), décédé en 2007 dans un fourgon de police, dans des conditions mystérieuses.
L’origine des poursuites judiciaires partait de Bernard Cazeneuve (ministre de l’intérieur à l’époque, donc numéro 3 du gouvernement) à cause d’une scène du clip où Jo le Pheno crache sur un fourgon de police. Ce fait pouvait s’apparenter à une performance scénaristique dans le but de corroborer le visuel et le morceau.
Cependant, 3 mois avant ce clip, en Juin 2016, une tragédie avait eu lieu où des fonctionnaires de police avaient été égorgés à leur domicile, par un membre de l’état islamique, à Magnanville, dans le 78. En parallèle, un mois plus tard l’affaire Adama Traoré se produisait, nouvel élément de confrontation entre policiers et jeunes de quartiers au vu des conditions d’interpellation et de leurs versions des faits discordantes. A ce jour, l’affaire est toujours en cours d’instruction. Précisons que l’affaire Théo s’est déroulée quelques mois après la diffusion du clip, ce qui a évidemment rajouté de l’huile sur le feu.
Ainsi, le ras le bol des forces de l’ordre est combiné à la lassitude des jeunes de quartiers qui n’ont pas l’impression que les policiers soient condamnés justement pour leurs dérives. Peu de temps après ces deux affaires sort donc le clip du rappeur du 20ème arrondissement, il n’en fallait pas plus pour mettre le feu aux poudres dans ce climat d’hypertension.
Au-delà de s’interroger sur l’histoire de timing de sortie du clip, la question se pose autour de la liberté d’expression. Il faut bien préciser que ce clip est une mise en scène et recompose l’univers d’un artiste qui revendique des problèmes sociétaux propres à ce même univers. Le symbole est fort mais les réactions ont éventuellement été un peu trop excessives quand certains ont dressé des parallèles hasardeux avec le double assassinat de Magnanville.
Concernant les détails judiciaires, un premier procès avait eu lieu sous motif de « provocation non suivie d'effet au crime et injure » en février 2017 puis repoussé au 27 octobre 2017, soit demain. De nombreux collectifs seront présents afin de défendre le cas de Jo le Pheno, tels que « Urgence notre Police assassine » et « Jeunesse Aulnaysienne » dont le crédo est de lutter contre les dérives policières. Générations soutient logiquement Jo le Pheno afin de faire valoir la liberté d’expression et de revendication.
II) Quand la réalité d'un clash dépasse la fiction
Le second procès de la journée du 27 octobre 2017 concernera donc l’affaire de la boutique Ünkut. Dans un tout autre registre à Jo le Pheno, l’affaire de Rohff est le point d’orgue de son clash avec Booba. En effet, la rivalité entre ces derniers a officiellement débuté en septembre 2012 avec le son « Wesh Moray » pour Booba et « Wesh Zoulette » pour Rohff.
Le second cité a estimé que certaines phases du morceau de Booba lui étaient destinées et que c’était un clash direct envers sa personne. Très inspiré le rappeur originaire de Vitry sur Seine a décidé de reprendre l’instrumentale de « Wesh Moray » et de la customiser (selon ses propres termes) pour à son tour clasher explicitement Booba. Soyons honnêtes « Wesh Zoulette » était un pur récital de 3 minutes de haine. Les deux rappeurs, qui ont été mis en concurrence dès la moitié des années 2000 au vu de leurs statuts et de leurs puissances commerciales, s’envoyaient des piques depuis quelques années, sans être explicite, il a donc fallu que cela explose à la rentrée 2012.
Ensuite, cela a été l’escalade, des vidéos diverses et variées où chacun donnait sa version de l’autre ainsi que les raisons de la naissance de cette confrontation.
En Avril 2014, au moment où tout semblait être anormalement calme dans cette histoire, cette dernière a fait sa réapparition par l’intermédiaire de Rohff, et de la plus belle des manières, puisqu’elle a été à la une de tous les médias. En effet, l’ancien rappeur de la Mafia K1 Fry est venu accompagné de plusieurs personnes dans la boutique Ünkut (marque de Booba) de Châtelet afin de taper un vendeur (qui aurait dévoilé l’adresse de Rohff sur internet) et saccager le magasin, par la même occasion.
Rohff s’est donc rendu le soir même au commissariat, avec son avocat, afin de se rendre auprès des autorités. Par conséquent, Housni M’Kouboi (de son vrai nom) a été placé en détention provisoire durant quelques mois. Une fois libéré, un dispositif judiciaire a été mis en place afin Rohff n’ait pas le droit d’approcher Booba.
Depuis 2014, une routine s’est instaurée entre les deux rappeurs, à savoir se clasher par posts Instagram interposés, mais peu de rebondissements jusqu’en septembre 2017 où Rohff passait pour la première fois devant le juge, dans le cadre de cette affaire (Housni M’Kouboi est un habitué des tribunaux). En première instance, une peine de 4ans ferme a été prononcée à son encontre au vu de ses multiples condamnations mais le verdict final sera prononcé demain.
En parallèle, Rohff a également décidé de sortir un son intitulé « Soldat » ce 27 octobre, une journée chargée et décisive pour le rappeur qui saura quel tournant aura sa carrière demain.
Sur ces deux affaires diamétralement opposées, nous espérons que les médias généralistes ne s’en empareront pas afin de salir la réputation de la musique la plus écoutée en France.