Il n'y a pas tant d'albums qui font l'unanimité dans le rap game, encore plus en France où on aime bien brûler nos idoles. Même des mecs comme Booba arrivent aujourd'hui à être contestés (même s'il l'a un peu chercher), mais il y a quand même des albums dont il est quasiment impossible de dire du mal si vous aimez le rap. On pense évidemment, tout de suite, à "Temps Mort", "Mauvais Œil", "L'école du Micro d'Argent", "Quelques Gouttes Suffisent", mais aussi des plus récents, comme "Or Noir", "Projet Blue Beam" ou... la "Don Dada Mixtape vol 1", d'Alpha Wann.
Un projet qui fête ses 5 ans cette semaine, sorti un peu par surprise, en plein confinement, alors qu'Alpha Wann est à nouveau au sommet de sa hype. "Une Main Lave l'Autre" a été validé par tous les kiffeurs de rap en 2018, son feat avec Freeze Corleone, "Rap Catéchisme", a littéralement baffé le game à la rentrée 2020, et quelques mois plus tard, Philly Flingo débarque avec un projet dans lequel il continue à faire preuve de toute sa maîtrise, avec une proposition artistique encore très forte. Alors on va se repencher sur cette petite dinguerie, en tentant de comprendre pourquoi, 5 ans après, la baffe sur la joue du rap français est encore douloureuse.
"Le dernier rappeur qui rappe"
Quand Alpha Wann sort un projet, c'est aussi pour prouver au rap français, qui s'enferme en suivant les tendances "commerciales" ou en recopiant, sans y mettre d'âme, les recettes américaines, qu'on pouvait faire des morceaux qui fonctionnent sans faire de la pop. Et c'est un rappel qui ne plaît pas toujours aux rappeurs, labels et directeurs artistiques des maisons de disques. Le tout avec énormément d'insolence, dès l'intro du projet : "J'fais pas d'vues sur Youtube c'est pas grave le showcase c'est quand même 10 000", et on imagine que ses prix ont dû augmenter depuis (en tout cas, ça mériterait).
Pas une dose de mélo, pas même une petite topline et pourtant, l'album est aujourd'hui certifié disque de platine, et validé par tous les vrais amateurs de rap français. Il faut dire que Le rappeur parisien est en démonstration sur le projet, avec des leçons de kickage sur chaque titre : punchlines, flows variés, placements originaux (et souvent parfaits), en vrai, qui peut le test ? "Mitsubishi", "Philly Flingo", "apdl", ou encore l'incroyable uppercut dans le foie après l'écoute de "Carrelage italien" dont on ressort le souffle coupé, tout ça avec aucune concession sur les textes. De l'egotrip de malade, des références à la politique, des leçons de vie, des phases qui motivent, des réflexions, on retrouve tout ce qu'on attend d'un album de rap dans cette mixtape.
En équipe, c'est mieux
Mais comme le nom du projet l'indique, il s'agit d'une mixtape, et bien souvent, sur une mixtape, on retrouve plein d'invités. Et c'est le cas ici, avec des invités très surprenants, et d'autres, beaucoup moins. On va commencer par les "surprises", avec, en tout premier ce morceau complètement inattendu en feat avec Kalash Criminel, "Pistons vs Pacers". Un titre en référence à ce qui est probablement la plus grosse bagarre de l'histoire de la NBA. Avec un Alpha au top de sa forme, et un Crimi qui découpe comme rarement, qui nous livre un couplet incroyable et des ad-libs de fou (LES SHOOTERS), bref, un banger. On a aussi le feat très surprenant avec Kaaris et Infinit, "Soldat tue soldat" sur une prod bien futuriste, tout en egotrip et en violence, là encore une belle démonstration.
Mais comme l'indique le nom du projet, la "Don Dada Mixtape" est aussi l'occasion pour le chef du label de présenter les artistes signés sur le label, ainsi que ceux qui en sont proches plus généralement. On a donc droit à un joli solo de Ratu$, un autre de K.S.A, mais aussi à un gros feat entre Lesram et Nekfeu, un autre entre Alpha Wann et l'incroyable Veust, "trapchat", un des meilleurs titres du projet, un autre bon morceau avec Dee et encore Infinit, la présence de 3010, et évidemment, Nekfeu, complice de toujours du Don, qui a aussi droit à un solo, et à quelques très gros feats ("aaa", dinguerie).
Globalement, une belle "fête de famille", même si certains sont un peu des pièces rapportées, comme Kaaris, ou encore Freeze Corleone qui a droit à son deuxième round sur "NY à fond". Une fête placée sous le signe du partage et de l'esprit hip hop, avec toujours un petit aspect "compet" à l'arrière de la tête, puisque tout le monde arrive avec des couplets très solides, on sent qu'ils n'ont pas pris l'invitation à la légère.
Des prods à la fois nostalgiques et futuristes
Dernier point qui frappe quand on regarde l'album dans son ensemble, c'est la diversité des prods, avec des univers musicaux vraiment très variés. Du no melody, de la trap, des prods bien plus "classiques" (mais toujours très bien faites), tout ça en restant très original, avec des producteurs connus pour leur qualité : JayJay, LamaOnTheBeat, Hologram Lo', évidemment, Richie Beats, et bien d'autres encore. Là où c'est fou, c'est d'avoir réussi à rendre un projet aussi cohérent au niveau de l'ambiance, en ayant recours à une dizaine de producteurs différents.
Mais c'est logique, car c'est au final Alpha Wann qui devait être à la DA du projet, et on le voit bien : il sait aussi endosser ce rôle. Et ça fait plaisir de voir des artistes qui ont une ligne directrice claire, celle d'un rap sans concession qui clame son amour du vrai hip hop, qui veut maintenir un réel niveau d'exigence sur la qualité des textes, avec des punchlines qu'on ne comprend qu'après plusieurs écoutes. Le Don cultive sa qualité, et sa rareté, à l'heure où on n'existe soi-disant plus si on ne sort pas un EP tous les 6 mois au minimum. On peut dire que la mission est réussie, et on espère revoir Alpha bientôt avec un nouveau projet, car il manque clairement au rap game.

























