Les lyricistes : le caviar du rap français

A la fois poète, thérapeute et rappeur, le lyriciste est devenu le chouchou du rap français.

On distingue plusieurs types de rap. Il y a le rap conscient, dénonciateur. Qui se veut être engagé. Il y a aussi le rap commercial, celui qui passe en boucle et qui te fait kiffer jusqu’à vouloir te lancer dans une carrière de danseur pro. On ne va pas tous les citer, ça pourrait être source de conflit. Mais celui qui met tout le monde d’accord, c’est bien le rap lyrique ou rap poétique.   

Loin du paraître, du show-off, des provocations, les lyricistes nous embarquent dans un monde parallèle. Un endroit simple, vrai, où les mots touchent par leur justesse inégalable. L’amour, l’amitié, la famille, la vie… Des thématiques omniprésentes dans ce type de textes.

Le rap lyriciste est un journal intime. Celui de l’auteur, mais que l’on pourrait avoir écrit. C’est bien simple, dans chaque page on s’y retrouve. Cette histoire nous est déjà arrivée. Cette personne est partie. Mensonge il y a eu. Mon père m’a laissé, ma mère est mon modèle. Cet ami m’a sauvé ou a contrario trahi. J’ai enfin compris ce qu’était le bonheur. J’enchaine les galères à n’en plus finir… En outre, des sujets plus ou moins légers qui nous font tous échos.

Le rap lyriciste existe depuis toujours en France, mais c'est grâce à des grands noms qu'il s'est fait vraiment connaître. Le pilier de ce genre ? MC Solaar évidemment. On a aussi IAM, Oxmo, Passi… Copiés mais jamais égalés, ils ont su donner une importance à chaque rime, mots, virgule.

Aujourd’hui, les lyricistes se multiplient. Mais certaines pépites se distinguent et cartonnent. Tsew The Kid, Lord Esperanza, Lonepsi, Scylla ou encore Kemmler. Cinq visages forts qui nous expliquent avec leurs mots ce qu’est réellement ce genre qui plait de plus en plus.

 

Avant toute chose, il est important d’expliquer ce qu’est un lyriciste. Et qui mieux pour le faire, que les lyricistes eux-même ?

Tsew The Kid : "C’est savoir trouver des mots sur les émotions et trouver des belles tournures de phrases".

Lord Esperanza : "Vulgariser des émotions. Faire en sorte que tout le monde s’identifie à ce que tout le monde peut ressentir".

Lonepsi : "C’est tenter de donner un sens à ce qu’on ne pouvait pas comprendre autrement que par l’écriture".

Scylla : "C’est mettre la plume au centre de son art".

Kemmler : "Utiliser des mots simples, pour décrire une situation que tout le monde vie".

Chacun a sa définition mais s’il y a bien une chose indéniable qui ressort c’est le lien entre les mots et les émotions. Ce fameux journal intime. Chaque musique est le reflet d’un sentiment. Les lyricistes vont puiser leurs inspirations là ou ils sont le plus à même de dévoiler leurs ressentis.

Pour Lord Esperanza, l’inspiration se trouve partout. Il affirme : "Je la trouve dans la vie, dans les relations humaines, les trahisons, les désillusions, les moments de joie, les moments d’euphorie, l’ascenseur émotionnel de la vie". Pour lui, les cerveaux sont "des éponges qui travaillent tout le temps".

 

Tsew The Kid, lui, cherche son inspi dans ce qui le touche. Il confesse : "Ça peut être lié à de la nostalgie par rapport à des événements que j’ai vécu. Ça peut être également des histoires qui m’ont touché comme l’histoire de Wouna dans mon dernier projet. Ou des personnes qui m’inspirent comme ma mère qui est souvent présente dans mes textes".

 

Parler de soi et des autres, Kemmler le fait également. Il ne joue pas de rôle. Il avoue : "J’ai pris le choix de parler de moi et de ce que je connais, de ce que j’ai vécu. C’est ma vie, mes amis avec lesquels je suis hyper proche. Quand ils me racontent quelque chose, j’écoute attentivement, ça m’inspire".

 

Parler de soi, de ce qu’il a pu vivre, mais aussi de ce qu’il aurait pu ou aimer expérimenter, est la visée des musiques de Lonepsi. Il dit : "Il m’arrive même de faire des écrits prémonitoires. Je me livre à l’écriture d’une histoire que je n’ai jamais vécu, et puis, je la vis sans m’en rendre compte, mot pour mot, 6 mois plus tard".

 

Scylla, le plus mature d’entre eux, admet avoir franchi une étape supérieure. Son inspiration a changé au fil du temps. Il déclare : "A la base c’est plus une question de journal intime oui, mais ça c'est quand tu commences à prendre la plume. Mais après, quand ton public se crée tu penses à eux, à leurs réactions. Donc tu es concerné par ce qui les concernent eux. C’est le jeu universel. Il faut que tu sois utile à quelqu’un d’autre".


Cette volonté d'être utile, d'aider, de soulager les maux à l'aide de mots, est l'un des objectifs premiers de nombreux lyricistes. Faire du bien à son public, Tsew The Kid espère réussir à le faire à chaque fois. C’est son leitmotiv. Il explique : "Je pense que tout le monde s’est déjà senti mal dans sa vie. Et je pense qu’il a juste fallu un mot pour se sentir mieux. D’où l’importance pour un lyriciste de bien choisir ses mots parce que chaque mot à un impact. Chaque tourne de phrase à un impact quand tu veux toucher les gens positivement". Il sait qu’un titre peut être un médicament, un remède à une souffrance. Il ajoute : "Ça se ressent dans les messages que je reçois parfois. Quand on me dit : "Ta musique est vraiment cool elle m’a permis d’aller mieux" je sais que j'ai tout gagné. Elle a un effet thérapeutique chez les gens. C’est une responsabilité, autant bien le faire. Et même il suffit juste que l’artiste arrive à mettre des mots sur des ressentis que toi même tu n’as pas réussi à exprimer pour aller mieux".

Le rap lyrique a donc un effet salvateur sur les autres. Un moyen de se sentir bien, d’évacuer après chaque écoute. Pour l’auteur aussi cette "mini-thérapie" est efficace. Lord Esperanza le résume parfaitement, il dit : "C’est un moyen d’extérioriser sa peine. De pouvoir mettre sur papier et sur voix orale tout ce qu’on a en soi et ce n’est pas par hasard que depuis la nuit des temps les hommes ont toujours eu besoin de décrire leurs émotions. C’est même hyper sain mentalement de mettre ça sur papier et de faire vivre ses maux pour qu’ils puissent sortir".

L'histoire a fait qu'aujourd'hui notre société abrite des personnes en proie aux doutes, à la tristesse, à l’injustice, aux désillusions et même à la haine. Bonheur il y a oui, mais les maux sont présents, la souffrance est là. Vous ajoutez à cela les histoires personnelles, familiales et amicales de chacun, et le volcan se réveille. Pour calmer la lave ou du moins essayer de la contrôler pour qu’elle fasse le moins de dégâts possibles, il faut trouver une solution. C’est là que le rap lyrique intervient. Le lyriciste est un auteur des temps modernes qui sait choisir les bons mots. Il est un mélange entre un poète, un thérapeute et un rappeur.

Un combo parfait, qui nous fait du bien.

 

Anne-Sophie Hamel