Loi Sécurité globale : 5 questions à Assa Traoré

Assa Traoré était l’invitée de Générations pour une émission spéciale. En pleine mobilisation de milliers de Français contre la loi Sécurité Globale, la question des violences policières est plus que jamais au cœur des débats. C’est dans ce contexte qu’elle nous a accordé cet entretien.

Par SK. En quoi cette loi-pose-t-elle problème ?
La question que je me poserai plutôt est de savoir à qui cette loi pose-t-elle problème ? Aujourd'hui, la voix d'une très grosse partie de la population n'est pas entendue, cette partie toujours coupable même lorsque les personnes sont innocentes. On nous enlève un moyen de défense, même s'il est minime. Quand on voit ce qui s'est passé avec Michel ou avec les migrants Place de La République, ce sont des scènes horribles, terrifiantes. Ce n'est pas possible qu'on puisse encore assister à ce genre de scènes, qui sont de plus en plus violentes. On a fait la marche du 13 juin à Paris pour dénoncer l'impunité policière, ces violences, ces discriminations raciales, notamment à travers la mort de mon petit frère et celle de George Floyd et la France proclame cette loi quelques mois plus tard. Il y a un problème. Ça veut dire que la réponse du président est de snober son peuple, car c'est le peuple qui est descendu dans la rue. L'Etat va se montrer de plus en plus répressif et le système de plus en plus violent. Plus on avance, plus les violences policières s'amplifient.


L’enjeu capital est l’article 24 qui punit l’identification des forces de l’ordre par les civils. Dans le cas de l’affaire Adama Traoré, qu’a permis l’identification ?
Dans notre affaire, il n'y a pas de vidéos. Cela prouve qu'on peut se défendre sans, mais il en faut. Quand Adama Traoré va mourir dans cette cour de gendarmerie, comme par hasard, les vidéos ne fonctionnent pas. On se bat sans relâche depuis quatre ans pour ça. Moi, j'ai nommé ces gendarmes, j'ai donné leurs noms. Je suis mise en examen pour avoir dit "Adama les gendarmes t'ont tué mais ils ne tueront pas ton nom". Mon procès arrive au mois de mai. Quand je porte plainte, on va me dire de retirer cette plainte au risque de finir mise en examen, pendant trois jours durant les convocations à la préfecture de police.

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T’accuserait-on de les avoir mis en danger en les nommant ?
Je ne vois pas où j'ai les ai mis en danger en les identifiant. On identifie bien nos noms à nous, ceux des victimes alors pourquoi devrait-on taire les leurs ?  Je pars du principe que je suis la victime, ma plainte a été acceptée et aucune loi ne dit qu'on n'a pas le droit de nommer. Je n'ai pas relayé d'images mais ça me vaut cette situation. J'irai jusqu'au bout de ma démarche. Les gendarmes qui ont tué mon frère, eux, ne sont toujours pas mis en examen. On voit dans quel fonctionnement, dans quel genre de démocratie on avance. Ça ne devrait pas faire débat en France puisque la France se proclame un pays démocratique dans le monde entier, mais la démocratie n'y est pas respectée, les droits humains ne sont pas respectés. J'appelle cet état une machine de guerre. Je suis devenue une soldate malgré moi, face à cette machine de guerre qui, tout de suite, lorsqu'on va se défendre, dès qu'on va se faire entendre ou dénoncer une injustice va se mettre en place sans aucun sentiment, sans aucun état d'âme. C'est une broyeuse.


Peut-on encore et comment contrer cette loi ?
Ils profitent de la situation sanitaire pour faire passer tout ce qu'ils ont envie dans la plus grande discrétion, dans la plus grande impunité. Il ne faut pas se laisser faire. Il n'y a pas d'Etat sans peuple. Il ne faut pas se laisser intimider. Il faut proclamer cette démocratie, il faut proclamer la liberté, l'égalité, la fraternité. C'est la France qui le dit, elle est fondée sur ces valeurs donc s'il faut qu'on aille encore plus loin, on ira encore plus loin. Un pays sans justice est un pays qui appelle à la révolte, un pays sans démocratie est un pays qui appelle à la révolte, un pays qui n'écoute pas son peuple est un pays qui appelle à la révolte. Les violences policières sont une réalité dans nos quartiers depuis des années. C'est un combat qu'on essaye de mener au plus haut niveau et il faut continuer de le faire pour la survie de nos frères. Nos frères sont ceux qui se font le plus tuer et subissent le plus de violences policières dans les quartiers. Ça se passe chez les hommes noirs, les hommes arabes, les hommes non-blancs. Ce qui est fort aujourd'hui, c'est que c'est l'ensemble du peuple qui dénonce, même ceux qui ne subissent pas la violence policière disent stop. Il est important que dans ce tournant qu'on est en train de prendre on ne s'arrête pas en se souvenant qu'on se bat pour que plus aucun de ces hommes ne vivent avec un pied dans la mort chaque fois qu'il croise un policier de mauvaise humeur et raciste. 


Ton rapport aux forces de l’ordre, à l’Etat a-t-il changé ?
Mon frère a été tué donc mon regard a complètement changé. Même si on met moi, Assa Traoré en prison, ce combat n'appartient plus seulement à la famille Traoré mais à tout le peuple français. Il doit être repris par tout le monde parce que nos vies en dépendent. On le mène depuis bientôt cinq ans, je le ferai au nom et avec le nom de petit frère, pour tous les Adama. Je suis dedans et je ne lâcherais pas, peu importe où ça me mène. Je sais qu'aujourd'hui ma vie est en danger mais je le fais pour ma famille, avec le comité Adama et les autres familles de victimes.