Eric Bellamy est à la tête de Yuma, une des plus grosses boîtes de prod de Paris dans le domaine de l’urbain. Avec de grosses collaborations comptant des artistes comme Niska, Damso, Disiz, Jul ou encore Youssoupha pour ne citer qu'eux, ce tourneur n’en est plus à son coup d’essai.
LES DEBUTS COTE PRODUCTION
Avant d’être la tête pensante de cette énorme entreprise, Eric Bellamy était un passionné de musique. C’est sa détermination et son sens du business qui l’ont emmené là où il est aujourd’hui.
"En fait à la base j’étais beatmaker. Après je suis devenu manager de mon propre groupe, et en tant que manager je faisais tourner ce groupe-là, et c’est comme ça que l’histoire a démarré. Le groupe c’était IPM. D’ailleurs, une réédition de l’album sortira à la rentrée."
C’est avec Yuma Prod que le "grand public" à découvert cet homme de l’ombre qui œuvrait dans le milieu depuis bien longtemps.
"La lyonnaise des flows, c’était un label qui a été créé pour la promotion de l’album d’IPM. Ensuite on a eu d’autres signatures lyonnaises. Au départ on ne faisait que du disque, après on a fait un peu d’édition, un peu de promo, un peu de tournées, puis ça s’est resserré sur la partie tournée."
C’est un passage de la lumière à l'ombre qui s’est opéré pour Eric, tout naturellement.
"C’est par opportunisme. Economiquement, quand on a commencé à travailler pour d’autres gens, on s’est mis en fait dans l’activité de tourneur sur le rap français. C’est là qu’on a vu qu’il y avait plus de chiffre d’affaire à faire. Du coup j’ai laissé un peu tomber la musique qui me prenait du temps et qui ne me rapportait pas forcément d’argent. Je regrette quand même de ne pas avoir été un pu plus loin dans la partie production, mais finalement c’est bien comme ça."
UNE AMBITION HORS PAIR
Si Yuma Prod a aujourd’hui un catalogue qualitatif, cela ne date pas d’hier et il faut dire que le terrain a bien été préparé. De La Lyonnaise des Flows à Yuma, l’ambition d’Eric Bellamy n’a pas cessé de grandir.
"Quand j’ai commencé à travailler avec Busta Flex, Kery James et tout ça, ça s’est développé très vite. J’ai eu la chance d’avoir des artistes un peu forts tout de suite.
Ça s’est fait par relations. A l’époque, il y avait quelques labels indépendants parisiens. Moi je suis arrivé à Paris en allant démarcher ces différents labels en leur disant que j’étais un mec de Lyon et que je voulais lancer mes propres groupes. C’est comme ça que très rapidement j’ai tissé des liens avec des gens de l’Ariana qui avaient sorti 113, Rohff, Mafia K'1 Fry, Ideal J, tout ça…
Petit à petit, avec tout ce réseau de labels indépendants, avec Bomayé qui ne s’appelait pas encore comme ça aussi, on se rencontrait chez LE distributeur rap français de l’époque qui s’occupait de tous les artistes que les majors ne voulaient pas faire."
Est-ce que tu constates une croissance niveau tourneurs de rap en France ?
"C’est surtout qu’aujourd’hui les tourneurs qui n’ont pas de groupes de rap, c’est compliqué pour eux. Cette bascule s’est faite il y a deux trois ans, depuis que la musique explose, que l’ensemble du public voit que les concerts se passent bien. Parce qu’il faut se dire la réalité, avant c’était compliqué. Et puis les relations avec les managers sont aussi devenues plus simples qu’avant. Avant, c’était vraiment des mecs durs, de quartier, qui pouvaient faire peur aux gens de la variété et à d’autres. »
Maintenant, ce sont des gens de maisons de disques, des avocats gèrent ces artistes-là, et les artistes sont beaucoup plus organisés qu’avant."
Parmi ses nombreuses expériences, toutes ne se sont pas passées comme prévu…
"Je m’étais retrouvé producteur exécutif de l’un des concerts de 50 Cent à Paris en 2007 je crois. Un mec avait monté un système d’investisseurs avec des mecs de la rue. Il leur a fait croire avec des chiffres que leurs gains allaient être multipliés. Ça lui a permis d’avoir un pécule. Avec ce concert là il a acheté l’artiste au tourneur US, puis il m’a donné l’argent pour produire la date.
En réalité il savait très bien que la date n’allait pas être rentable, et qu’il avait pris plus d’argent que ce que ça allait rapporter. A un moment donné il a voulu se sauver avec l’argent et planter tout le monde. Heureusement, je m’en suis rendu compte et j’ai prévenu tout le monde, sinon ça se serait très mal fini pour moi.
J’ai rencontré deux escrocs comme ça dans ma vie, mais c’est deux en vingt ans. Maintenant tout est organisé sous forme de contrats juridiques. C’est carré."
DE LA LYONNAISE DES FLOWS A YUMA PROD
"A un moment donné j’en ai eu marre du rap. J’avais envie de changer de style musical et de travailler avec d’autres groupes. Des groupes de pop, d’électro, de chanson. Je voulais me mettre à la chanson française, parce que j’en avais marre de faire que du rap français. Les artistes peuvent rendre fou (rires) !
Là je me suis aperçu que le nom "Lyonnaise des flows" refroidissait les mecs, que c’était trop estampillé rap français. Donc je me suis dit que j'allais changer de nom, d’image. Je voulais aussi faire de la danse urbaine, j’en ai fait, de l’humour aussi, j’en ai fait ensuite. "Flow" ça fait trop penser au rap. C’est pour ça que j’ai choisi "Yuma"."
Les soirées "Horizons" qui se déroulent à La Maroquinerie font aussi la force de ce tourneur en se plaçant comme une sorte de tremplin pour les jeunes artistes.
"On voulait créer une marque à la Maroquinerie que maintenant on a transféré à La Boule Noire, sur des jeunes artistes et leur proposer leur première scène à Paris.
C’est pour ça qu’on a lancé ce concept-là, et puis on s’est dit que si vraiment on en repère des bons sur scène, on leur propose de signer chez nous. Au début on en a fait pas mal mais maintenant on lève un peu le pied parce que je pense qu’aujourd’hui les artistes signent de plus en plus tôt avec des labels qui ont tout de suite des options sur du live. Quand on a monté ce truc-là, il n’y avait pas autant cette envie de faire du 360 dans les labels. Du coup, des fois on book des artistes qui ne sont même pas encore signés en major, dans des gros labels, mais qui ont déjà des options avec d’autres tourneurs, et on se retrouve déjà en porte à faux. C’est pour ça que l’on se demande si c’est encore pertinent de le faire."
Quels sont les critères sur lesquels sont repérés les artistes ?
"Il y en a qui nous démarchent, et on a aussi des gens chez nous, en inter, qui démarchent tous les artistes qui commencent un peu à éclore, qui font du buzz. On fait un travail de veille constamment."
LE TRAVAIL AVANT TOUT
"Ca fait plus de vingt ans que je suis dans ce milieu, le travail paie sur la longueur quand tu es sérieux. Comme c’est un milieu où il y a beaucoup plus d’argent dès le début qu’avant, il faut essayer de rester dans sa ligne droite et de ne pas trop se perdre. Essayer de durer, je pense que c’est une musique qui est là et qui est installée pour un moment, il peut y avoir des vrais acteurs de ça qui pourront en vivre sur la longueur. Aujourd’hui il y a beaucoup de gens qui ne viennent que par opportunisme, pour faire un maximum d’argent et ciao.
Ils sont trop jeunes et se disent qu’avec l’argent qu’ils ont pris, ils pourront vivre toute leur vie, c’est une erreur. Il y a de quoi monter suffisamment de business dans cette économie qui est en constante mutation pour rester suffisamment sur la longueur. L’urbain restera la musique qui porte toute une génération, est-ce que ça va muter, on ne le sait pas encore ; mais je pense que les ponts entre l’électro et le rap ne sont pas finis. Tous les acteurs qui font de la variété voient leur textes repris par des rappeurs, ou vont chercher des beatmakers pour faire des sons. Ca va continuer d'évoluer."