Rencontre avec Mouloud Mansouri - Partie 1 : Interview

Rencontre avec Mouloud Mansouri - Partie 1 : Interview

À l'occasion des dix ans de l'association Fu-Jo, nous avons reçu son fondateur Mouloud Mansouri. Retour sur une décennie de concerts en prison.

Mouloud Mansouri a créé l'association Fu-Jo en 2008. Le concept est simple et  audacieux : il s'agit d'organiser des concerts entre les murs, rendus possible grâce aux fonds récoltés lors de concerts Hip-Hop Convict à l'extérieur. Rencontre avec son fondateur. 

  • Tu as fait dix ans de prison et tu dis que cette période ne t’a rien apporté de positif, pourtant cette association en découle ?

Sans passer par la prison, je n’aurais pas pu y intervenir sans savoir à quel point c’est dur à l’intérieur et vide de culture. Il faut vivre le truc pour pouvoir faire ce genre de projets.

  • Tu as commencé ce projet entre les murs, est-ce qu’il t’a aidé à te “réinsérer” ?

Je n’ai pas pensé ce projet en prison, je l’ai initié là-bas. J’ai commencé à organiser des concerts pendant mes dernières années entre les murs. Quand je suis sorti en conditionnelle, je n’allais pas dire au juge : “je vais aller faire des concerts dans les prisons” ! On m’aurait dit d’y rester. Je suis sorti avec un autre projet : j’ai suivi une formation de six mois de vendeur spécialisé à l’Afpa. J’avais encore des amis qui m’appelaient de la prison, me disant qu’il n’y avait plus rien d’organisé. Alors, j’ai pensé aux mecs qui étaient encore là-bas. Je ne le fais pas pour moi, je pourrais organiser des concerts en extérieur et me faire de l’oseille. Là, je suis en associatif. Finalement, le projet a évolué, avec par exemple la Shtar Academy (collectif  de rap d'anciens détenus) ou la Cellule de Rire.

  • Si la prison n’a que vocation à punir, comment est-ce que tu définirais celle de ton association ?

Ce n’est pas du divertissement. Par le biais d’une culture de qualité, c’est un moyen de réinsertion pour les détenus. Dehors, on a accès à tout : sport, concert, etc. En prison, c’est le contraire. On croise souvent des mecs qui nous disent que c’est leur premier concert ! Je parle très peu de réinsertion mais plutôt d’insertion. La plupart des mecs n’ont jamais été insérés dans la société. Je fais un travail d’insertion social à travers la culture, en les faisant kiffer.

  • Est-ce que c’est compliqué de décider les artistes ?

Ça dépend. Quand j’ai commencé, c’était avec des artistes comme Youssoupha, Medine, Kery James : c’était facile de les convaincre. Après, il y a eu une mutation, une période durant laquelle j’ai galéré avec la nouvelle scène de rap français. Aujourd’hui, il y a encore une nouvelle vague qui arrive : les Maes, les Ninho, hyper faciles à motiver ! Pour les avoir côtoyés, je sais qu’ils ont du cœur. Niska, par exemple, a fait son show comme s’il était à l'extérieur, c’était génial !

 

Niska devant le Centre Penitentiaire de Toulon, où il a donné un concert le 8 novembre dernier. 
 

  • Est-ce que tu réussi à faire entrer des artistes femmes ?

Oui, ce sont des artistes, donc hommes ou femmes, c’est pareil. On a emmené Imany, Olivia Ruiz… Et puis, il y a des meufs en prison. Tu ne restes pas des années sans voir de femme. Parfois, il y a même plus de meufs que de mecs. Pas chez les surveillants, mais lorsque tu considères la totalité de personnel pénitentiaire, il y a énormément de femmes.

  • Pourquoi essayes-tu aussi de diversifier la programmation ?

D’après moi, le rap ne se démocratise pas, même si c’est le genre de musique le plus écouté aujourd’hui. En prison, c’est aussi le cas, c’est le reflet de ce qui se passe dans la société. Il y a une majorité de mecs qui écoutent du rap, mais pas que. Parfois, je passe devant une cellule et j’entends du Dalida... Quand on a fait venir Matthieu Chedid, ça a cartonné. Zaz, Grand Corps Malade, pareil, quelle que soit la musique qu’on propose, ça fonctionne. C’est important qu’il n’y ait pas que du rap. En ce moment, je suis en contact avec l’équipe de Angèle, j’insiste parce qu’elle déchire et que j’aimerais vraiment qu’ils puissent découvrir sa musique.

  • Est-ce que les choses évoluent avec les autorités avec le succès de ton association ?

Non, ça n’évolue pas du tout. Au niveau institutionnel par exemple : ça fait dix ans qu’on organise des concerts en prison, on a même organisé un festival au sein d’une prison, c’était un truc de fou. Ce sont des premières en France. À l’époque où Madame Taubira était soi-disant la “super” Ministre de la justice, on lui a envoyé des CD, des invitations pour le festival et on n’a reçu aucun soutien. Personne dans les institutions n’a eu l’intelligence de s’intéresser à nous. Si j’étais ministre et que je voyais un mec comme moi sortir de dix ans de prison et arriver à faire tout ça, je l’attrape et je lui propose de faire évoluer les choses !

-Propos recueillis par Anaïs Koopman