Ami Yerewolo : interview exclusive

Découvrez l'interview exclusive d'Ami Yerewolo pour Générations !

Tu es la première rappeuse malienne, quel(le)s sont les différent(e)s artistes qui t’ont inspiré(e)s pour commencer à faire de la musique ?

Je ne suis pas la première rappeuse malienne, en revanche je suis la première qui est arrivée à un certain niveau de carrière au Mali. En terme de musique j'écoute généralement un peu de tout mais le plus souvent la musique traditionnelle attire le plus mon intention. Les artistes comme Salif Keita Oumou Sangare, Ami Koïta, Bako Dagnon m'ont beaucoup inspiré.

Tu viens du Mali, plus précisément de Mahina, pas loin de Bamako, en quoi cet environnement t’a-t-il influencé pour faire tes premières créations musicales ?

Oui, c'est vrai je viens de Mahina qui fait partie de la région de Kayes, je suis née là-bas. Mon éducation musicale s'est construite là bas. Tout : mon environnement, la société, la famille m'ont forgé et ont influencé mes premières créations musicales. Après le bac, je suis allée à Bamako pour poursuivre mes études supérieures, mon environnement quotidien, et puis l'introspection sur mon parcours de vie c'est ce qui me donne l'inspiration pour pouvoir créer ma musique.

On te définit souvent comme "rebelle", un trait de caractère qui est assez propre au hip-hop, comment retranscris-tu cette énergie dans ta musique ?

Je suis de nature timide et pas du genre à me plaindre, mais l'artiste en moi est tout le contraire de cette femme timide : l'artiste en moi est provocatrice, extravertie, elle fait et dit tout ce que je peux pas faire ou dire en temps normal par pudeur ou autre ! L'artiste en moi est différente car elle estime que c'est de son devoir, à travers l'expérience et parcours de vie, de parler de certaines choses de la société qu'elle trouve injustes. 

Tu as créé la structure Denfari Events, une agence de communication et de production pour le développement de la culture urbaine au Mali, peux-tu nous en parler un peu ?

Denfari Events est une agence de communication et de prestation de service, que j'ai créé en 2016, parce qu'après la sortie de mon premier album en 2014, j'avais toujours pas de maison de production, pas de distributeur et j'avais une difficulté énorme à sortir des singles parce que je n'avais pas l'accompagnement nécessaire d'une structure légale. Et comme je ne voulais pas m'arrêter à ce détail,  je suis allée me renseigner pour créer mon propre label, à l'époque. J'ai vu que je pouvais le faire alors j'ai foncé et j'ai créé ma structure.

Tu as également créé la structure "le Mali a des Rappeuses", un festival tremplin pour mettre en avant la scène hip-hop féminine. Peux-tu nous dire quelques mots à ce sujet, et nous parler de ces rappeuses avec qui tu as pu travailler à cette occasion ?

Oui, c'est Denfari Events, ma structure de communication, qui organise depuis 4 ans le festival Le Mali a des Rappeuses, un moyen pour moi d'apporter mon soutien aux jeunes filles passionnées de la culture hip hop comme moi. C'est un festival dédié à la promotion du rap féminin, le but est d'encourager les jeunes filles qui sont passionnées à se lancer, de partager leurs talents, mais c'est aussi un moment d'échanges avec des professionnels car nous organisons des rencontres, des formations et showcases autour du hip hop et des cultures urbaines. C'est un espace de dialogue pour aborder des thématiques sur les problèmes de société notamment ceux qui impactent les femmes. Depuis que nous avons créé le festival, nous avons constaté une plus grande implication des jeunes filles dans la culture hip-hop et urbaine, nous avons vu une augmentation du nombre de rappeuses, notamment des rappeuses qui prennent en main leurs carrières: elles font leur mixtapes, elles se structurent et deviennent indépendantes. Notre rôle c'est d'apporter un soutien et de les accompagner à trouver leur indépendance. On espère que certaines pourront ouvrir leur propre structure. 

Tu as reçu de nombreux prix : le trophée Femme battante du Mali, décerné par la presse malienne, un Mali Hip Hop Awards, un Kalata Music Awards, le 2e Prix Découvertes RFI et tu es finaliste du prix Découvertes 2020 RFI. Comment vis-tu le fait de recevoir toutes ces récompenses ?

Au final ce sont des récompenses qui viennent après des années de travail ce qui fait toujours plaisir, mais pour moi ce n'est pas le plus important, ce qui compte vraiment c'est l'évolution du regard de la société envers le rap féminin, et j'espère qu'avec le temps on arrivera, nous les rappeuses, à vivre de notre passion.    

Tu as signé sur le label "Othantiq AA", créé par Blick Bassy, comment cette structure t’accompagne-t-elle sur ta création musicale ?

"Othantiq AA", c'est un rêve devenu réalité, après plusieurs années en autoproduction (10 ans), je rêvais de travailler avec des professionnels car je savais que seule a un moment donné je ne pouvais plus tenir, et quand j'ai rencontré Blick Bassy en Suisse au festival Show-me, j'ai tout de suite su qu'il était la personne que je cherchais, car il n'est pas seulement producteur, il est aussi artiste chanteur avec plusieurs casquettes ce qui est un avantage pour une artiste comme moi. Il connaît mes problématiques en tant qu'artiste et son expérience est un vrai atout. C'est un nouveau tournant avec des productions différentes de mes anciennes productions jusque-là. On échange beaucoup avec le label Othantiq AA: on réfléchit sur ma vision, là où je veux aller, le label m'envoie des prods, j'écris, je choisis les textes des chansons, on revoit les propositions jusqu'à ce que nous soyons satisfaits. Les autres aspects comme la communication, le booking sont gérés directement par le label. 

Tes textes mettent en avant ta place de femme indépendante, et parlent de féminisme, d’écueil patriarcales et proposent un nouveau récit d’empowerment. Ces sujets me tiennent-ils à cœur en particulier ?

Je viens d'une société conservatrice sur certaines choses : une femme qui fait du rap, ce n'est pas digne ! Et sachant qu'on ne me fera pas de faveur, j'essaie de faire comprendre à ma société que si, c'est possible ! Et ce n'est pas parce que je fais ce qui n'est pas courant qu'on doit me dénigrer ou me discriminer, j'ai des droits et la société a un devoir envers moi.

Tu as dévoilé "Je Gère", un clip très ensoleillé avec un message fort "Manabou, personnage principal et gardienne des traditions sillonne la contrée. Elle veille à ce que les messages et les informations d’où qu’elles viennent soient diffusés dans leurs exactitudes, sans déformation aucune dans un environnement où règnent médisance, propos déformés et fake news".  Peux-tu nous en parler un peu ?

"Je gère", premier extrait du nouvel album, parle des problèmes de la société africaine en générale particulièrement malienne, tels que la méchanceté gratuite, l'hypocrisie, le commérage... Tout ça avec un peu d'ironie tout en faisant danser. C'est pour sensibiliser et surtout conscientiser chacun sur le fait que l'on peut facilement prendre la vie des autres en otages sans se rendre compte. 

Ton troisième album, "AY" sortira cette année, comment s’est déroulée sa création entre Paris et Bamako ?

En quelques mois et à distance nous avons pu faire tous les titres de l'album, les prods sont faites à Paris, le label m'envoyait les prods, je posais ma voix ici à Bamako, pour renvoyer ensuite pour le mixage et autre à Paris, on échangeait beaucoup. C’était vraiment facile pour moi car je suis restée dans mon environnement ce qui m’a aidé pour l’écriture des textes, il y’a aussi une superbe équipe motivée qui travaille sur d’autres tâches bien plus compliquées heureusement pour moi !